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Saison 2 - Épisode 3

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Avis de recherche

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Michaël Fassnacht passe derrière le bar et dépose des verres sales dans le lave-vaisselle. Il est vingt heures passées, le moment où les étudiants installés depuis l’après-midi rentrent chez eux manger et sont relevés de leurs fonctions par les fêtards qui resteront boire toute la soirée. Pour les employés du Croc’, c’est la course ; il faut débarrasser et nettoyer les tables souillées par les premiers tout en prenant les commandes et en servant les seconds.

La porte du pub-lounge s’ouvre, Michaël se redresse brusquement et laisse tomber une chope vide par terre. Trois professeurs entrent et prennent place près de la fenêtre. Michaël jure et se met à ramasser les débris qu’il jette au fond de la poubelle.

Deux étudiantes sont installées face à lui au comptoir et attendent d’être servies, mais c’est tout juste si le jeune homme les remarque. Ses yeux font des constants aller-retours vers l’entrée du Croc’ comme s’il pressentait que le Pape en personne débarquerait sur son lieu de travail.

- Salut Michaël ! lance l’une des clientes par-dessus la musique. On peut commander ?

Michaël, qui semble reprendre ses esprits, reconnait la plus grande des deux. Elle est aussi en deuxième année de droit, mais il ne se rappelle pas son prénom. Contrairement à elle. Il leur fait signe de patienter une seconde pendant qu’il balaie le sol avec un torchon.

- Qu’est-ce que je peux vous servir ? demande-t-il enfin.

- Un mojito sans alcool pour moi et un jus d’orange pour Thalia, répond l’autre.

La porte du Croc’ s’est à nouveau ouverte et c’est un groupe de garçons qui pénètre dans le pub-lounge.

Michaël prépare distraitement les boissons et tend deux mojitos à Thalia.

- C’était un seul mojito, corrige la jeune femme. Et un jus d’orange.

- Ah… désolé, s’excuse le barman.

Les deux filles le regardent s’affairer d’un œil complice.

- Tout va bien ? demande Thalia. T’as l’air un peu… ailleurs.

- Ouais, ça va, se reprend Michaël. Je suis un peu débordé là.

Il dépose un jus d’orange sur le comptoir et encaisse l’argent que Thalia lui donne.

- Si t’as cinq minutes de break, on est assises à la table dans le coin, précise-t-elle.

- On t’offrira un mojito ! plaisante sa copine.

Un début de sourire éclaire le coin de la bouche du jeune homme.

Thalia s’installe dans le fauteuil qui fait face au bar et cherche le regard de Michaël, mais celui-ci est occupé à nettoyer le plan de travail. Soudain, son attention se tourne vers l’entrée et le barman se fige, tous ses sens semblent attirés par la jeune femme qui vient de passer la porte.

 

*

 

À son entrée au Croc’, Nina Dalambert ouvre la fermeture éclair de sa veste et déroule son écharpe avant de repérer Michaël derrière le bar. Ce dernier lui adresse un signe de la main en retour.

- Salut Nina ! s’exclame-t-il. Qu’est-ce que tu fais là ?

- On s’est donné rendez-vous ici avec Simon pour discuter au calme.

Avec Georgina Rose constamment sur leur dos lorsqu’ils travaillent au bureau des plaintes, il est devenu impossible d’échanger plus de deux phrases sur un sujet autre que les affaires en cours. Le Croc’ fait donc office de lieu d’échange pour les employés.

- Je te sers quelque chose à boire ? interroge Michaël, les deux coudes posés sur le comptoir devant elle, un torchon jeté sur son épaule droite.

- Oui, volontiers. Un jus d’orange, s’il te plait.

Michaël fronce les sourcils et jette un œil en direction de Thalia, au fond de la pièce. Celle-ci lève son verre à son intention. Nina se retourne pour voir vers qui Michaël hoche la tête.

- C’est juste une fille qui est en cours avec moi, trouve-t-il nécessaire d’expliquer avant de servir son jus d’orange à Nina.

- Si tu le dis…

Simon arrive à son tour et s’assied à côté de sa sœur.

- Dieu merci la semaine est finie, soupire-t-il.

- Pas de Georgina Rose pendant trois jours ! exulte Nina.

Michaël glisse un soda devant son colocataire.

Une fois l’inventaire de la bibliothèque terminé, Nina et Simon avaient repris leur poste mais le frère et la sœur étaient tout le temps sollicités par leur supérieure pour de petites tâches ingrates : faire le café, épousseter les étagères, trier le courrier.

- Qu’est-ce que vous faites ce week-end ? questionne Michaël.

- Je vais voir un match de volleyball demain soir, annonce Simon sur le ton de celui qui n’a rien prévu de spécial.

- Ah bon ? s’étonne sa sœur.

- L’Université joue contre le favori du championnat. Apparemment.

- Depuis quand tu suis le sport universitaire ?

- Il y a le cousin de Chris qui joue dans l’équipe, répond son frère en hochant la tête.

- Et toi, Nina ? relance Michaël.

- Je sais pas trop… J’ai quelques cours à réviser et sinon je pense continuer à harceler de Kalbermatten pour savoir si l’enquête avance.

Cela faisait deux mois bientôt que Kim-Soo, sa voisine de chambre, avait mystérieusement disparu et la police n’avait a priori découvert aucun indice qui pourrait permettre de la localiser ou de savoir ce qui s’était réellement passé. Les deux seules preuves avaient été retrouvées par Nina qui les avait transmises à l’inspecteur de Kalbermatten pour analyse : une touffe de cheveux par terre dans sa chambre et un faux-ongle dans le local de stockage du Croc’. La première avait été identifiée comme appartenant à Kim-Soo, la deuxième avait été conservée en attendant qu’on puisse la relier à l’affaire. Les pistes s’arrêtaient là.

Depuis, Nina appelait de Kalbermatten plusieurs fois par semaine pour avoir des nouvelles, toutefois l’enquête semblait être au point mort. La police avait interrogé la moitié du campus, fouillé le passé de l’étudiante, contacté sa famille en Corée du Sud. Et en avait conclu que Kim-Soo était sûrement partie de son plein gré. Cependant, Nina ne croyait pas à cette théorie.

- Je commence à me dire que j’aurais mieux fait de mener l’enquête de mon côté plutôt que d’attendre sagement que les autorités fassent quelque chose, se plaint la jeune femme.

- Et tu aurais fait quoi de plus ? questionne Simon.

- J’en sais rien ! fusille Nina. Quelque chose… On pourrait préparer une annonce et la publier sur les réseaux sociaux et l’afficher sur le campus.

Devant le silence peu convaincant de Simon, Nina ajoute :

- Il me faudrait une photo de Kim-Soo. Et je mettrai un message demandant si quelqu’un l’a aperçue depuis le vendredi 10 septembre.

- Mais la police a déjà interrogé tout le monde, rétorque son frère.

- Uniquement les personnes en contact avec Kim-Soo : ses camarades de classe, les filles de la résidence, ses professeurs. Peut-être que quelqu’un l’a vue par hasard, sans savoir qui c’était ?

- Ça vaut la peine d’essayer, soutient Michaël.

- Ok, soupire Simon.

- Je peux t’aider à faire le tour du campus pour coller les affiches, ce week-end, propose le barman.

Nina remercie son collègue et quitte le pub-lounge, revigorée à l’idée d’avoir quelque chose d’utile à faire.

Simon tend une serviette en papier à son colocataire :

- Pour essuyer la bave qui coule sur ton menton, dit-il d’un ton moqueur.

- Haha…

- Sérieusement, reprend Simon, quand est-ce que tu te décides à l’inviter à sortir ? Et pas pour coller des avis de recherche sur des panneaux d’affichage. Un vrai rendez-vous.

Michaël se passe une main sur le menton et inspire profondément :

- Tu penses qu’elle dirait oui ?

- Est-ce qu’une fille t’a déjà dit non ?

- Mmh… sourit Michaël. Mais c’est pas n’importe quelle fille…

- En effet, confirme le grand frère. Alors t’as intérêt à pas tout foirer.

- Ouais, justement… murmure Michaël, en quittant le comptoir pour aller débarrasser une table inoccupée.

Le jeune homme sait pertinemment que c’est ce qui le retient de se rapprocher de Nina. Depuis son adolescence, il a toujours eu peur de s’engager dans une relation sérieuse. La plus longue a dû durer un mois. À chaque fois, il accumule les bourdes, comme s’il le faisait volontairement pour gâcher tout espoir d’attachement. Même s’il sent qu’il a changé depuis les événements de la fin d’année dernière, il se conforte dans l’idée qu’il n’est pas un compagnon sain pour Nina. Sa collègue et amie mérite mieux que lui.

 

*

 

Michaël se réveille le lendemain, les muscles tout courbaturés par son long service de la veille. Son smartphone lui indique qu’il est déjà onze heures et que Nina lui a envoyé trois messages. Le jeune homme se redresse dans son lit et se frotte les yeux pour lire son écran.

9h31 : Je vais placarder les affiches à midi, on se retrouve à l’Union ?

10h16 : En fait je dois passer faire des photocopies à la reproduction, quand est-ce que tu me rejoins ?

10h59 : Bon je viens chez toi, à toute.

Michaël saute de son lit et court sur la pointe des pieds jusqu’à la salle de bain. Mais Nina a été plus rapide que lui et pénètre au même instant dans leur appartement. Elle réprime un éclat de rire à la vue de son collègue en caleçon au milieu du couloir. Ils se dévisagent gênés quelques secondes, puis la jeune femme déclare :

- Je vais t’attendre dans le salon. Avec du café.

- Merci… geint Michaël qui s’éclipse comme un éclair dans la salle de bain.

Une heure et demie plus tard, les deux collègues sortent de la résidence John Cameron, les bras chargés d’affichettes, de ciseaux et rouleaux de ficelle. Le soleil bas de novembre les éblouit et Nina met sa main en visière sur son front :

- Il ne nous reste plus que le centre sportif.

Ils longent le terrain d’athlétisme en direction du bâtiment des sports reconnaissable à sa structure tout en béton et à son dôme en fer.

Michaël inspire une grande bouffée d’air chloré qui s’échappe de la porte lorsqu’il la tient ouverte à Nina. Il réalise qu’il n’a pas mis les pieds ici depuis le scandale avec Amel Benaglio, l’athlète de triathlon qu’il coachait l’année précédente et qui l’avait accusé à tort de harcèlement.

- Je vais en mettre une à l’entrée des vestiaires, déclare Nina.

Michaël lui tend du ruban adhésif et semble complètement obnubilé par la jeune femme qui se mordille la lèvre inférieure, tout appliquée qu’elle est à placer l’avis de recherche droit contre la porte.

- Encore un petit bout, s’il te plait, lui demande-t-elle. Michaël ?

- Ah, désolé. Voilà.

Michaël repense à ce que lui a dit Simon la veille et il en vient à se dire qu’il ne prend pas trop de risque à inviter Nina à manger au restaurant un de ces prochains soirs. Il verrait comment cela se passe et si jamais, il pourrait toujours prétexter que c’est en toute amitié.

- Euh, Nina ? Tu as… quelque chose de prévu… demain soir ? bégaie-t-il au rythme soudain accéléré des battements de son cœur.

- Rien de spécial, non, répond-elle honnêtement. Pourquoi ?

La porte du vestiaire s’ouvre et un garçon aux cheveux mouillés faillit leur rentrer dedans. Il s’arrête sur l’affiche où le visage souriant de Kim-Soo en noir et blanc occupe la partie supérieure. En-dessous, un court texte informe que Kim-Soo a disparu depuis le vendredi 10 septembre et demande à toute personne susceptible de l’avoir vue ou de posséder des informations concernant la jeune femme de contacter le bureau des plaintes au plus vite.

- J’ai vu cette fille ! s’exclame-t-il en pointant la photo du doigt.

- Quoi ? Quand ça ? s’écrie Nina.

- C’était un soir, il y a deux ou trois semaines…

- Où ça ? demande Nina avec empressement.

- Juste là, derrière le bâtiment. Je sortais de mon entraînement et je l’ai vue qui courait à travers les arbres de la forêt.

- Elle faisait son jogging ? interroge Michaël à son tour.

- Non, non, elle avait plutôt l’air d’être très en retard. Je l’ai trouvée bizarre justement.

- Pourquoi ? relance Nina qui a envie de secouer le garçon par les épaules pour faire tomber les informations plus rapidement.

- Elle était en t-shirt et en shorts, alors qu’il faisait pas mal froid.

- Un t-shirt blanc ?

- Peut-être ouais…

Nina se frotte le visage avec les mains et expire longuement.

- Ça voudrait dire qu’elle n’a pas quitté la ville… et qu’elle va bien.

Ils passent les minutes suivantes à prendre les coordonnées de Pavel et à noter les informations reçues en vrac. Si ce qu’ils viennent de découvrir est vrai, ce serait une avancée majeure dans l’enquête sur la disparition de Kim-Soo.

 

*

 

Michaël arrive sur le palier du troisième étage et marque une pause pour rajuster sa chemise dans son pantalon. Cela fait vingt-quatre heures que l’idée de venir là tourne en rond dans sa tête. Pourtant, soudain, il a envie de faire demi-tour. Il n’avait pas eu l’occasion d’inviter Nina à dîner la veille, mais il savait qu’elle n’avait rien de prévu ce soir. En arrivant devant la résidence Elsa Cameron, il avait remarqué la lumière à la fenêtre de la jeune femme. Il avait vu en cela un signe qu’il devait poursuivre son objectif et monter lui proposer de passer la soirée au restaurant. En tête-à-tête. Entre collègues. Et amis.

Il allume la lumière dans le couloir. Arrivé devant le numéro trente-deux, il prend encore le temps de passer une main dans sa mèche blonde et d’humecter ses lèvres sèches. Il frappe quatre coups et se dit qu’il aurait dû en rester à trois. Trop tard. La porte s’entrouvre presque immédiatement après et Michaël tombe nez à nez avec l’inspecteur Hippolyte de Kalbermatten.

- Inspecteur… ? bafouille-t-il, surpris. Qu’est-ce… que…

- Bonsoir, monsieur Fassnacht.

- Où est Nina ? Tout va bien ? s’inquiète tout de suite Michaël.

L’inspecteur s’écarte de l’ouverture.

- Michaël ? appelle Nina depuis l’intérieur.

La jeune femme est assise sur son lit en train d’enfiler ses chaussures.

- Qu’est-ce que tu fais ici ? demande-t-elle.

- Qu’est-ce que je fais ici ? répète Michaël en jetant un œil suspect à de Kalbermatten.

- On allait sortir chercher à manger, explique Nina. On a passé la journée à interroger Pavel et à chercher des indices dans la forêt, à l’endroit où Kim-Soo a été vue.

Nina est maintenant debout au milieu de sa chambre et enfile un large pull à capuche qui lui tombe sur les cuisses.

- T’es élégant, remarque la jeune femme. Tu sors ce soir ?

Dans sa tête, Michaël fait le souhait de disparaitre six pieds sous terre, mais en réalité il répond :

- Non, pas vraiment.

- Tu es venu pour quelque chose en particulier ?

- Euh…, hésite le jeune homme désemparé. Je voulais savoir si… tu pouvais me prêter ce livre dont tu parlais l’autre fois.

- Lequel ? questionne Nina en fronçant les sourcils.

Le regard de Michaël tombe sur un ouvrage à la couverture colorée posé sur le bureau de sa collègue.

- Celui-là je crois, indique-t-il.

- Mon manuel de psychologie sociale ? s’étonne Nina.

Michaël acquiesce et Nina lui passe le livre.

- J’aurais pu te le passer au bureau lundi.

- Ouais, c’est vrai…

Près de la porte, de Kalbermatten commence à s’impatienter et tripote sa montre de luxe en acier.

- Bon, on va y aller, déclare Nina, entrainant tout le monde en dehors de la pièce.

Elle verrouille sa chambre à clé et suit de Kalbermatten dans le couloir.

- Bonne soirée Mic ! lance-t-elle avant de disparaitre à l’angle des escaliers.

Le jeune homme reste planté là, les bras ballants. Il sent une colère honteuse monter en lui comme des flammes qui l’envelopperaient des pieds à la tête. Au bout de quelques secondes, il ne la contient plus et lance le manuel de psychologie de Nina de toutes ses forces à travers le corridor. Celui-ci va frapper contre un mur et s’écraser mollement par terre. Surpris par son geste, Michaël se laisse glisser contre la porte fermée de la chambre et pose ses coudes sur ses genoux.

Il inspire de longues minutes pour se calmer. Deux filles le dépassent en chuchotant. Il les ignore, puis finit par se relever et quitter l’étage sans prendre la peine de ramasser le livre. Il faudra de toute façon qu’il en rachète un à Nina.

 

*

 

Nina est ravie de trouver son frère seul au bureau cet après-midi-là. Quand son horaire le lui permettait, Simon essayait d’arriver une demi-heure à l’avance au bureau des plaintes afin de pouvoir travailler tranquillement sans être sous la surveillance de Georgina Rose. Il en profitait pour lire ses courriels, y répondre, et pour réviser ses cours. Il se servait une tasse de thé et s’installait derrière son ordinateur. Ce moment de calme passait toujours trop rapidement selon lui.

Nina se précipite vers Simon ; elle a tellement de choses à lui raconter de son week-end.

- Pavel a été interrogé pendant plusieurs heures samedi matin, explique-t-elle. Selon son témoignage, c’est bien Kim-Soo qu’il a aperçue à l’orée du bois un soir aux alentours de vingt-et-une heures. Il ne se souvenait plus précisément de la date : le 19 ou le 20 octobre.

- Plus d’un mois après sa disparition ?! s’étonne Simon.

- Je sais, c’est complètement dingue. Et le plus fou c’est qu’elle était en train de courir, comme une dératée. De Kalbermatten pense qu’elle devait sûrement vouloir échapper à quelque chose ou à quelqu’un.

- Et elle est allée où ?

- D’après Pavel, elle s’enfuyait vers l’est, en direction du réfectoire.

- Mais il n’y a rien là-bas, tout est fermé le soir.

- Oui, c’est ce que j’ai répondu aussi. Sauf si elle visait la résidence Elsa Cameron qui est un peu plus loin.

Simon acquiesce, pensif.

- Elle serait repassée à sa chambre ?

- Si c’est le cas, elle n’a pas dû y entrer. De Kalbermatten a posé un scellé sur la poignée.

- Alors où est-elle maintenant ? interroge Simon.

Désemparée, sans réponse, Nina ne peut que hausser les épaules.

- On a passé l’après-midi à tenter de retrouver une trace du passage de Kim-Soo… Jusqu’à ce qu’il fasse trop nuit pour y voir quelque chose.

- Comment ça se fait que de Kalbermatten ait accepté que tu l’assistes dans son enquête ? demande Simon.

- Je crois qu’il manque d’effectif sur ce coup, justifie Nina. La piste de Kim-Soo est tellement froide que la police refuse de mobiliser des bras pour fouiller tout une forêt. Alors j’ai proposé mon aide et il a dit oui.

- Mais vous n’avez pas trouvé d’indice ?

- Non… j’y suis retournée seule hier… seulement, à part des canettes de bière rouillées, des vieux emballages de nourriture et quelques seringues usagées…

- Mouais… dit Simon avec un air dégoûté. Depuis trois semaines, le vent ou la pluie a probablement emporté toute preuve utile.

- Probablement oui, dit une voix grave sur le pas de la porte.

Simon tourne son regard vers le nouveau venu et découvre la silhouette baraquée de l’inspecteur, ses épaules carrées frôlant presque les montants du chambranle lorsqu’il pénètre dans la pièce.

- Bonjour inspecteur, salue Simon.

- Monsieur Dalambert. Nina. Votre responsable n’est pas encore arrivée ?

- Non.

Leurs regards se tournent alors vers l’entrée, mais ce n’est que Michaël qui franchit à son tour le seuil. Le jeune homme lance un regard noir à de Kalbermatten et, sans un bonjour, fonce vers son bureau.

- C’est… différent ici, commente alors l’inspecteur en promenant son regard à travers la pièce.

- C’est un euphémisme, répond Simon.

Georgina Rose arrive enfin et se fige en apercevant de Kalbermatten debout au milieu du salon. Tout en l’ignorant, elle se débarrasse de son manteau sur l’une des branches de la statue-palmier et finit par dire :

- Je peux faire quelque chose pour vous, inspecteur ?

- Non, répond de Kalbermatten du tac au tac. À vrai dire, je suis venu voir Nina. J’aurais besoin de son aide aujourd’hui concernant l’enquête en cours.

Nina sourit, fière de se sentir utile.

- Désolée, mais ça ne va pas être possible, coupe Georgina Rose. Mademoiselle Dalambert a du travail cet après-midi.

Le sourire de Nina retombe comme un soufflé. De Kalbermatten s’appuie contre le dossier du fauteuil et défie la responsable des yeux :

- Alors je repasserai en fin de journée la chercher, dit-il sans se laisser déstabiliser.

- Si tu veux, lâche Georgina Rose, sur un ton détaché.

De Kalbermatten se redresse, prêt à partir, mais ajoute alors à l’attention de Nina :

- Et ensuite, si ça te dit Nina, on pourrait aller tester ce restaurant asiatique dont on parlait l’autre soir, le nouveau à la rue du Pont.

Prise au dépourvu et relativement flattée de la proposition, Nina répond :

- Euh… avec plaisir.

Une fois l’inspecteur sorti du bureau, Georgina Rose s’isole dans la kitchenette. Michaël se rapproche de ses collègues et chuchote :

- Non, mais j’hallucine !

- C’est clair ! C’était quoi cette animosité entre les deux ? s’étonne Simon.

- Depuis quand il te tutoie et t’appelle par ton prénom ? demande Michaël à Nina, ignorant totalement la remarque de son coloc.

Nina hausse les épaules :

- C’est-à-dire qu’on a passé pas mal de temps ensemble ces dernières semaines, alors on s’est dit que ce serait plus simple de…

- Quel bâtard… crache Michaël, qui se reprend alors et dit d’un ton moqueur. Ne me dis pas que tu l’appelles Hippo quand même ?

- Va te faire foutre Michaël, lance Nina en retour.

La jeune femme se place à quelques centimètres du visage de son collègue et siffle :

- Si je ne voyais pas le défilé de filles qui passent dans ta chambre chaque week-end, je me mettrais à croire que t’es jaloux.

Michaël la fusille du regard et se mord la langue pour retenir une riposte cruelle. Au lieu de cela, il met les voiles par la porte-fenêtre et traverse la cour intérieure à grandes enjambées.

- Vous faites chier tous les deux, jure Simon qui décide de rattraper son colocataire.

La sonnerie d’appel au travail siffle dans l’air et Georgina Rose réapparait dans le salon :

- Mademoiselle Dalambert, il faudrait que vous me fassiez des photocopies de tout ça et que vous déposiez ceci à l’administration, dit-elle en lui tendant une pile de dossiers colorés et étiquetés.

Intérieurement, Nina la méprise. Elle n’est pas sa secrétaire après tout. Toutefois, si ça peut lui éviter de recroiser Michaël aujourd’hui, elle n’hésitera pas à prendre tout son temps.

 

*

 

Simon repère Michaël assis sur le dossier d’un banc sous les arcades qui entourent la cour intérieure de l’Union. Entre-temps, son ami a rabattu sa capuche sur sa mèche blonde et allumé un joint. Les traits de son visage sont tendus, à tel point que Simon a l’impression de ne pas le reconnaitre.

- Mic… soupire-t-il. Tu fais quoi là ?

- Je me calme, répond son colocataire en tirant une bouffée.

Simon prend place à côté de lui.

- Il est beaucoup trop vieux pour elle ! s’écrie alors Michaël. Il a au moins dix ans de plus qu’elle ! Ça ne te choque pas, toi qui es son grand frère ?

- Ils vont juste manger au restaurant… rassure Simon. Et c’est Nina, tu sais qu’elle n’en fait qu’à sa tête.

Michaël ricane aigrement :

- Tu prendras toujours sa défense… Même après ce qu’elle m’a dit.

- Non, sur le coup, je suis de ton côté. Elle a abusé.

Michaël se met à jouer nerveusement avec son briquet :

- Tu sais que depuis le printemps, j’ai changé… y a plus eu de fille après…

- Ouais, le conforte Simon. À ce rythme-là, tu vas finir gay comme moi.

Son ami lâche un sourire triste.

- Elle avait pas le droit de te balancer ça, Mic. Mais ne te laisse pas démonter. Ça n’en vaut pas la peine, il ne se passera rien de plus avec de Kalbermatten.

- Si tu le dis…

- Allez, viens bosser avant que Georgina nous trouve ici et nous vire. Et éteins-moi ça, ordonne-t-il.

- J’arrive, dit Michaël en écrasant délicatement le joint sur le banc.

Simon lui met une tape réconfortante dans le dos et s’éloigne.

Michaël remballe le briquet et le reste de joint qu’il glisse dans sa poche. Il le finira tout à l’heure après le boulot, pense-t-il en enfournant un chewing-gum dans sa bouche.

 

*

 

L’après-midi au bureau des plaintes de l’Université est pesant. Simon s’est isolé derrière son ordinateur et n’a pas adressé plus de deux mots à sa sœur et à son colocataire. Michaël s’occupe l’esprit en recevant les représentants des diverses associations étudiantes qui déversent leur lot de complaintes concernant la vie du campus et des révolutions à apporter à l’Université. Nina, quant à elle, fait des va-et-vient pour satisfaire les demandes les plus farfelues de Georgina Rose, le tout en soupirant haut et fort et en martelant le sol de pas lourds de mécontentement.

Tout le monde respire de soulagement lorsque le moment est venu de fermer enfin boutique. Michaël n’attend pas une seconde et se faufile par la porte-fenêtre, espérant ne croiser personne. Au même instant, Hippolyte de Kalbermatten vient chercher Nina. Il a troqué son costume d’inspecteur contre un polo noir de marque, une veste en cuir et des baskets. Simon le salue en sortant, ses affaires fourrées sous son bras à la va-vite.

- Prête ? demande l’inspecteur à Nina.

- Oui, répond-elle tandis qu’elle éteint la lampe de son bureau.

- Bonne soirée ! lance de Kalbermatten à la responsable, qui les observe du coin de l’œil depuis son poste de travail.

Sans réponse, ils passent la porte et s’engagent dans le couloir administratif.

- Tu as changé de vêtements, constate la jeune femme.

- J’ai pensé qu’un look un peu plus décontracté ferait mieux l’affaire.

- Quel effort… le taquine Nina.

De Kalbermatten fait mine d’ignorer la pique de la jeune femme.

- Si je t’ai demandé de m’aider, c’est parce que je veux réinterroger les étudiants, explique-t-il. Je me suis dit qu’ils seraient sûrement plus à l’aise à discuter avec moi en ta présence.

- D’accord. Et on commence par qui ?

- Tu veux dire « par où », corrige l’inspecteur. L’endroit où Kim-Soo a été vue pour la dernière fois : le bois près du centre sportif. Et on retrace ses pas à partir de là.

À tenter de suivre la foulée rapide d’Hippolyte, Nina est presque essoufflée. De son côté, l’inspecteur au physique entraîné n’éprouve aucune difficulté à marcher vite, à parler et gesticuler en même temps.

Le soleil s’est déjà couché derrière l’horizon du campus universitaire lorsqu’ils sortent de l’Union, et un léger brouillard s’installe entre les bâtiments, donnant un côté sombre et glaçant à cette fin de journée de novembre.

- Cette fois, nous allons nous baser sur les soirs des 19 et 20 octobre. Peut-être quelqu’un se rappellera avoir vu la victime dans les parages.

Aux abords du centre sportif, ils croisent un groupe de jeunes attroupés sous la lumière d’un réverbère.

- Bonsoir, les interpelle de Kalbermatten. Nous avons quelques questions à vous poser, si vous le voulez bien.

Les jeunes rechignent un peu et deux d’entre eux s’éclipsent discrètement sous le couvert des arbres.

- Avez-vous aperçu cette jeune femme dans le coin les nuits des 19 ou 20 octobre derniers ? questionne l’inspecteur en affichant la photo de Kim-Soo sur son téléphone portable.

Certains nient à mi-voix, d’autres haussent les épaules.

- Et autre part sur le campus ? Autour de ces dates-là ?

Toujours pas réponse. Le groupe commence à se séparer.

- Regardez bien la photo. C’est important. N’importe quel indice peut être utile à l’enquête.

Les jeunes leur tournent le dos, alors que de Kalbermatten crie encore :

- Contactez le commissariat si vous vous rappelez quoi que ce soit !

Il soupire.

- J’ai l’impression que tout le monde s’en fiche, râle-t-il.

- C’est-à-dire que tu n’es pas très avenant… ose commenter Nina.

De Kalbermatten fronce les sourcils.

- Tu leur poses des questions comme s’ils étaient suspects d’un crime grave. Tu t’exprimes comme…

- Comme un flic quoi ! sourit-il.

- Laisse-moi essayer, d’accord ?

Nina le devance et passe la porte du centre sportif.

- Salut ! lance-t-elle à la fille qui tient l’accueil.

- Salut, je peux vous aider ?

- Je sais pas… peut-être, commence Nina. Mon… pote et moi, on est à la recherche de ma… meilleure amie qui a disparu.

- Quoi ?! Encore ? s’étonne l’hôtesse.

- Comment ça « encore » ? intervient de Kalbermatten.

- J’ai vu les avis de disparition placardés partout sur le campus…

- Ah, coupe Nina. C’est elle justement. C’est moi qui ai mis les affiches.

La fille parait soulagée et à Nina d’enchaîner :

- On a vraiment besoin de ton aide. Elle a été vue la dernière fois le 19 ou 20 octobre près du centre. Est-ce que son visage te dit quelque chose ?

La standardiste plisse les yeux face à la photo que Nina lui tend, mais secoue la tête.

- Désolée, s’excuse-t-elle. J’ai commencé à bosser ici au début du mois de novembre…

Nina lui sourit tristement.

- Mais je vais me renseigner auprès des habitués et leur montrer la photo, ajoute-t-elle.

- Ce serait vraiment super, remercie Nina.

Une fois dehors, de Kalbermatten la félicite :

- C’était un interrogatoire rondement mené. Je t’engage volontiers dans ma brigade.

Nina se sent flattée d’avoir pu impressionner l’inspecteur.

- Malheureusement, ça n’a pas été gagnant non plus, constate-t-elle.

- Non, mais on avance et peut-être que nos contacts aboutiront à une piste d’ici quelque temps.

Rassurés, ils continuent leurs recherches vers le réfectoire, puis la résidence Elsa Cameron, sans plus de succès que jusqu’alors. De Kalbermatten laisse Nina aborder les étudiants et n’intervient que très peu. Plusieurs font la promesse de garder un œil ouvert et de contacter le bureau des plaintes s’ils apprennent quelque chose au sujet de Kim-Soo.

Au bout de deux heures d’échanges, Nina a les jambes lourdes et la bouche sèche.

- On pourrait terminer par le Croc’ et boire un verre, propose-t-elle. Ça ou je risque de m’effondrer.

- Bonne idée. Je ne voudrais pas perdre une aussi précieuse partenaire.

 

*

 

Le premier réflexe de Nina est de vérifier si Michaël est de service au Croc’ ce soir-là. Toutefois, elle ne le voit ni dans la salle, ni derrière le bar. Un soulagement pour la jeune femme de ne pas avoir à affronter le regard accusateur de son collègue. Elle décide d’ignorer la petite part d’elle-même qui est aussi un peu déçue de ne pas le croiser.

Le pub-lounge n’est pas trop occupé pour une fois et Nina se dirige tout de suite vers le bar pour commander deux bières. À nouveau, de Kalbermatten la laisse mener la danse, mais insiste pour payer leurs consommations.

- Ce soir, c’est moi qui offre, ajoute-t-il. Enfin, c’est la police qui offre. Je monopolise ta soirée, alors c’est la moindre des choses.

Nina le remercie et descend la moitié de sa chope avant de commencer à questionner le barman et deux ou trois clients installés près d’eux. Personne n’a rien vu, ni entendu.

Soudain, le cœur de Nina s’arrête ; elle vient d’apercevoir Michaël sortir des toilettes du fond. Il avance tête baissée sur de Kalbermatten et elle sans les avoir remarqués. Au dernier moment, alors qu’il ne peut plus les éviter, il relève le visage. Nina est choquée par son regard vide de compréhension et remarque de la sueur sur le front de son collègue. Elle aimerait le prendre à part, s’excuser pour les mots durs qu’elle a eus envers lui, mais elle sent que ce n’est ni le moment ni le lieu. Au lieu de cela, elle chuchote :

- Michaël…

Le jeune homme les dépasse sans un mot. Nina est prostrée.

- On devrait y aller, propose finalement Hippolyte à l’oreille de Nina. J’ai réservé au restaurant pour vingt heures trente.

- Oui… Il n’y a plus rien pour nous ici de toute manière.

Elle le suit en dehors du Croc’ et jusqu’à sa voiture sur le parking. Le long du trottoir qui quitte le campus, elle voit la silhouette courbée de Michaël qui marche lentement. Elle devine son visage à la lueur de la cigarette qui s’embrase à ses lèvres et le nuage de fumée qu’il expire se mêle au brouillard de la nuit.

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