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Saison 3 - Épisode 3

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Pas de fumée sans feu (partie 1)

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Sur le terrain de sport de l’Université, les joueurs de football luttent contre les fortes bourrasques du mois de novembre. Ils doivent redoubler d’efforts pour porter la balle d’un bout à l’autre et entendre les recommandations de l’entraineur qui s’égosille au bord de la pelouse.

En haut des gradins, Zoé Capt rajuste la visière de sa casquette pour l’empêcher de s’envoler. À couvert, elle surveille Simon Dalambert et Michaël Fassnacht qui longent le terrain en direction de l’Union. Le vent fouette leurs visages et rougit leurs joues. Lorsque ceux-ci arrivent à sa hauteur, Zoé se mêle à un groupe d’étudiants agglutinés sur le chemin et tend l’oreille pour capter leur discussion :

- Déjà presque trois semaines et t’as trouvé personne ? s’étonne Simon.

- J’ai pas vraiment eu le temps…

- T’as fait visiter l’appart’ ?

- J’ai pris des photos que je vais mettre dans l’annonce.

- T’as pas encore mis d’annonce ?!

Michaël hausse les épaules.

- Mic, je vais pas payer ma chambre dans le vide tout le semestre…

- Je sais, je sais ! Je vais m’en occuper cette semaine. Promis.

Zoé regarde les deux amis entrer dans le bâtiment principal et sort un petit calepin beige de son sac. Elle tourne frénétiquement les pages et note quelques mots à l’intérieur. Puis, elle retire sa casquette et pénètre à son tour dans l’Union.

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En seulement quelques jours, le bureau des plaintes de l’Université a repris du poil de la bête. Non seulement, les étudiants ne se perdent plus dans les couloirs du premier étage, mais les employés ont dûment réinvesti les lieux. La pièce vide s’est d’abord équipée de trois bureaux et de quelques chaises supplémentaires. Puis, Nina et Zoé ont écumé les vide-greniers afin de récupérer un sofa pas trop défoncé qu’elles ont recouvert d’un tissu bleu et agrémenté de coussins flashy. Une table basse en bois recyclée et des poufs complètent le coin salon. Les garçons se sont lâchés sur la déco en dégotant de vieilles affiches vintage et un lampadaire composé de sabres laser que Nina a tant bien que mal réussi à cacher avec des plantes. Un mix and match de leurs goûts hétéroclites, qui leur ressemble assez bien finalement.

Michaël fonce droit vers la kitchenette, tandis que Simon s’installe sur une chaise vide en face du bureau de Nina.

- Je peux prendre votre plainte ? questionne celle-ci, sans lever le regard de son livre de psychologie.

- Mic n’a pas encore, ne serait-ce que, commencé à chercher un nouveau coloc’, chuchote Simon avec agacement.

Nina se détourne de sa lecture pour constater l’air agacé, et surtout inquiet de son frère :

- Peut-être que c’est plus difficile pour lui que tu ne l’imagines, suggère-t-elle.

- Quoi ? Poster une petite annonce en ligne ? Je lui montre volontiers comment utiliser internet.

- Non, idiot. Te remplacer. Trouver une personne de confiance avec qui partager les tâches ménagères, préparer les repas du soir et nettoyer les toilettes.

- Mic n’a jamais nettoyé les toilettes… ronchonne Simon, qui fait semblant de ne pas comprendre où Nina veut en venir.

Une nouvelle bourrasque de vent vient frapper les portes-fenêtres.

- Quelqu’un d’autre veut du thé ? demande Michaël.

- Pas pour moi, j’ai cours dans cinq minutes, annonce Nina.

- Pour ma part, j’ai rendez-vous avec un prof. Zoé devrait arriver pour me remplacer une heure.

Justement, la silhouette de la jeune femme se découpe derrière le verre fumé de l’entrée.

Michaël s’installe sur le canapé et ouvre son ordinateur portable sur ses genoux. Pour la dixième fois, il relit le texte de la petite annonce qu’il veut publier sur le site internet de l’université :

Chambre de 11m2 disponible de suite dans colocation

Cuisine, salle de bain et salon communs

Visites et détails sur demande

C’est simple, mais que dire de plus ? Michaël fait quelques tentatives de formulations : « Recherche coloc’ sympa qui sait cuisiner ;-) », « Recherche colocataire sérieux.se pour une cohabitation à long terme », « Étudiant.e en biologie avec spécialisation en bactéries s’abstenir ». Le jeune homme secoue la tête.

- Michaël, tu sais où se trouve le secrétariat de la faculté des arts ? interroge Zoé. Je dois leur apporter un dossier.

- Ouais, c’est dans le bâtiment des sports.

- Ah bon ? Pourquoi ?

- Qu’est-ce que j’en sais. Il n’y avait probablement plus de place ailleurs.

L’index suspendu au-dessus du clavier, il hésite… Et s’il proposait simplement la chambre à Zoé ? Il garde cette option en cas de force majeure et en attendant, il clique sur « publier ».

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Le vent n’est toujours pas tombé lorsque Michaël rentre chez lui ce soir-là. Il est près de six heures et l’étudiant est sur les rotules. Péniblement, il entame la montée des escaliers, mais du brouhaha attire son attention. Au niveau du premier étage, une file d’attente s’est créée le long du mur. Michaël dépasse les premières personnes, mais se fait empoigner par un robuste gaillard :

- Hé, fais la queue comme tout le monde !

- Vous foutez quoi tous ici ? questionne Michaël.

- Y a un appartement à visiter.

Le visage de Michaël devient tout blanc. Son téléphone n’a pas arrêté de sonner aujourd’hui. Des étudiants intéressés par l’annonce. Il avait fini par leur envoyer à tous le même message leur disant de passer ce soir à l’adresse indiquée. Il ne s’était pas rendu compte qu’ils seraient si nombreux.

Michaël se penche dans la cage d’escalier et constate que la file monte jusqu’à son palier. Il n’arrive même pas à en voir le bout. Devant l’ampleur de la tâche, le jeune homme baisse les bras. Tant pis. Il redescend les marches sous l’œil méfiant du gaillard et sort de son immeuble.

Rapidement, il compose le numéro de sa copine et prie pour que celle-ci réponde :

- Maya ! Tu me sauves la vie ! Je peux venir chez toi ce soir ?

- Bien sûr, qu’est-ce qui se passe ?

- Merci, je t’expliquerai. J’arrive.

En se dirigeant vers l’arrêt de bus, il écrit un message à tous les intéressés pour annuler et retire l’annonce dans la foulée. Demain, il proposera la chambre à Zoé.

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Dans l’ombre de la résidence Elsa Cameron, une silhouette se tient, immobile. On ne la distinguerait même pas, si ce n’était le rougeoiement furtif d’une cigarette qui tremble sous la capuche. Sa manière de se réchauffer face aux attaques glaciales du vent.

La silhouette reste là, observatrice. Il ne lui suffirait que d’un pas à gauche pour entrer dans le rayon lumineux de la fenêtre éclairée du premier étage. Quand les rideaux se ferment, elle attend encore quelques instants. Le spectacle est terminé. Enfin. Il n’y aura pas de rappel. Elle tourne les talons, envoyant le mégot de cigarette au pied du bâtiment.

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Nina tient son bol en équilibre sur son bras et ferme la porte de sa chambre. Un filet de vapeur flotte sous son nez et lui donne l’eau à la bouche. Ce soir, c’est Estelle qui a cuisiné des macaronis au fromage pour toutes les filles de l’étage.

Quand l’Université avait annoncé que des travaux allaient être effectués dans sa résidence, Nina avait grincé des dents. Elle avait dû déménager du troisième au premier étage en début d’année. Les chambres du troisième étaient beaucoup plus spacieuses et lumineuses. Mais l’étudiante n’avait pas eu le choix. Et contre toute attente, elle avait rencontré un groupe de filles super soudées au premier étage, qui l’avait tout de suite accueillie et intégrée.

Chaque soir, l’une d’entre elles cuisinait pour le reste. Cela permettait d’économiser de l’argent et du temps. Et puis, elles découvraient de nouvelles recettes et partageaient leurs conseils. Ce n’était pas toujours un succès, mais Nina savait que les plats d’Estelle étaient généralement succulents.

Elle dépose son bol sur la table de chevet et pique un macaroni avec sa fourchette. Soufflant dessus avant de le récupérer avec ses dents, elle tire les rideaux. Depuis qu’elle dort au premier étage, Nina a de la peine à se sentir à l’aise. Elle a l’étrange impression d’être épiée depuis l’extérieur. Sa fenêtre donne sur l’arrière du campus. En face, il y a des salles de cours, désertes dès la tombée de la nuit, et plus loin la forêt qui entoure l’Université. La jeune femme jette un œil au travers des tissus, mais ne peut percer l’obscurité environnante.

Nina s’installe sur son lit, son ordinateur portable devant elle, son bol sur les genoux. Elle télécharge le dernier épisode d’une téléréalité dont tout le monde parle en ce moment. Elle s’est laissée prendre par les personnalités des participants et aime analyser leur comportement en fonction des concepts socio-psychologiques vus en cours.

Alors qu’elle termine les derniers macaronis au fond de son bol, Nina se redresse dans son lit et coupe le son de son épisode. Une odeur de brûlé flotte jusqu’à sa chambre. Sa première pensée est qu’Estelle a oublié d’éteindre le four ou quelqu’un a laissé une casserole sur le feu. Elle se lève et sort dans le corridor.

- Tu sens cette odeur ? demande-t-elle à une fille qui émerge de la salle de bain.

- Non, quoi ?

Nina ne répond pas et file vers la cuisine commune. Pourtant, plus elle avance, moins l’odeur se fait forte. Les étudiantes qui trainent près de la cuisinière la détaillent d’un air surpris :

- Tout va bien Nina ?

La jeune femme se met à douter. Peut-être est-elle en train d’halluciner ? Elle s’excuse et repart en direction de sa chambre. À l’instant exact où elle ouvre à nouveau la porte, l’alarme incendie se déclenche dans un cri strident. L’appel d’air qu’elle vient de créer avive une flamme qui lèche ses rideaux. Elle a le réflexe d’attraper son smartphone et son ordinateur avant de s’extraire en vitesse de la fournaise.

Son visage est rougi par la chaleur et ses yeux piquent à cause de la fumée. Nina frappe aux portes et hurle à tout le monde d’évacuer. Ce n’est pas un exercice, comme il y en a régulièrement sur le campus.

- Est-ce qu’il y a encore quelqu’un au premier ? crie-t-elle à l’attention d’Estelle.

- J’en sais rien ! Viens, Nina, il faut qu’on sorte !

Sa copine l’entraine vers un troupeau de filles qui se presse dans l’escalier. Malgré les mains sur leurs nez et leurs bouches, Nina reconnait plusieurs visages.

L’air frais du soir leur fait tout à coup beaucoup de bien. Nina respire de grandes bouffées avant de lever les yeux vers la résidence Elsa Cameron. Les flammes lèchent une partie du rez-de-chaussée et montent jusqu’à sa chambre.

Les dernières étudiantes sortent au moment où un camion de pompiers s’arrête à côté de l’entrée. Abasourdie, Nina observe leur ballet, incapable d’absorber ce qui est en train de se produire sous ses yeux. Une fois le feu maitrisé, la jeune femme reprend ses esprits et appelle son frère.

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Lorsque Simon arrive à la résidence Elsa Cameron, une foule s’est amassée sur la pelouse du campus. Il y a les pompiers et les forces de l’ordre, les victimes et leurs proches, les spectateurs curieux, le personnel de l’Université. Le jeune homme peine à trouver sa sœur.

Il la repère au milieu de plusieurs étudiantes, emmitouflées dans des couvertures chauffantes. La lumière des gyrophares se reflète sur leurs mines livides.

- Nina ! Tu n’as rien ?

Il serre sa sœur dans ses bras. À part une gorge un peu irritée par la fumée, elle semble aller bien. Elle lui raconte en quelques mots ce qui s’est passé.

Un infirmier vient demander à Nina comment elle se sent.

- Si vous avez des effets secondaires ces prochaines heures, n’hésitez pas à vous rendre à l’hôpital.

La jeune fille hoche la tête.

- Vous voulez qu’on appelle quelqu’un ? Vous avez quelque part où passer la nuit ? questionne l’infirmier.

- Oui, répond Simon. Elle peut rester chez moi. Je suis son frère.

Alors que l’infirmier s’éloigne, Simon le rattrape :

- Monsieur, vous savez ce qui s’est passé ? Comment le feu s’est déclenché ?

- Non, il faut voir ça avec la police, explique-t-il en pointant du doigt la voiture des forces de l’ordre.

Au travers des nuages de fumée, Simon reconnait la silhouette baraquée de l’inspecteur Hippolyte de Kalbermatten. Il a enfilé un brassard « police » par-dessus son manteau et couvert son crâne rasé d’un bonnet en laine. Simon veut en profiter pour aller lui poser quelques questions, mais de Kalbermatten est déjà en pleine discussion avec une étudiante.

Attendant à l’écart, Simon remarque alors que le profil de cette dernière ne lui est pas inconnu. Il plisse les yeux pour s’assurer de ne pas être trompé par la mauvaise luminosité. Non, plus de doute, il s’agit de Zoé Capt. Qu’est-ce que sa collègue fait ici ? A-t-elle été témoin de l’incendie pour que la police veuille l’interroger ?

Simon s’avance dans leur direction, mais tandis qu’il est à mi-chemin, Zoé plante les mains dans ses poches et s’éloigne d’un pas rapide. Nina l’appelle dans son dos :

- Simon ! Je suis épuisée. On peut rentrer ?

- Je voulais voir l’inspecteur…

- J’ai pas le courage ce soir.

- OK, allons-y.

Les questions attendront le lever du jour.

FIN DE LA PARTIE 1

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Pas du fumée sans feu (partie 2)

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Le lendemain, Nina se rend tôt au bureau des plaintes de l’Université. Elle n’a pas arrêté de se réveiller toute la nuit : à cause de cauchemars, de bruits inconnus, du canapé un peu ferme de son frère. Elle a l’impression de ne pas s’être reposée. Elle profite donc du silence matinal pour faire une sieste dans le sofa.

Michaël débarque quelques heures plus tard en agitant des croissants au chocolat sous son nez :

- Tu serais gentille d’arrêter de baver sur mon bureau, lance-t-il avec humour.

Nina se redresse et essuie le coin de sa bouche.

- Comment tu vas ce matin ? demande son collègue, après lui avoir tendu une tasse de café fumant.

- Bof… J’ai des courbatures partout.

- Joli T-shirt !

Nina a troqué son sweat enfumé contre un T-shirt de son frère à l’effigie de Star Wars qui lui tombe presque jusqu’aux genoux. Elle n’a par contre pas réussi à faire partir l’odeur de feu de ses cheveux.

Nina s’étire en soupirant :

- Je courberais volontiers les cours pour rester chez moi ce matin, mais… y a comme qui dirait un problème.

- À ce propos, Nina, je voulais te proposer…

Michaël est interrompu par l’intrusion d’un visiteur, pas très cher à son cœur.

- Bonjour, articule l’inspecteur de Kalbermatten d’une voix grave.

Il reste sur le pas de la porte quelques secondes, contemplant la pièce dans laquelle il n’a pas remis les pieds depuis la fusillade, environ six mois plus tôt.

- Nina, s’adresse-t-il finalement à la jeune femme. Monsieur Fassnacht.

Michaël l’ignore et part s’isoler dans la kitchenette sans oublier d’emporter jalousement les croissants au chocolat avec lui. La façon dont Hippolyte de Kalbermatten l’avait utilisé l’année précédente pour démanteler un trafic de drogue sur le campus lui restait toujours au travers de la gorge.

- C’est moi qui enquête sur l’incendie à Elsa Cameron et j’ai besoin de te poser quelques questions.

Nina l’invite à s’assoir dans le coin salon. Hippolyte considère les deux poufs déformés d’un œil dégoûté, puis opte pour une chaise qu’il place en face du sofa où se trouve toujours Nina.

- Comment te sens-tu ? commence-t-il.

- Est-ce qu’on sait comment s’est arrivé ? élude la jeune femme.

- Pas encore, mais je suis là pour tenter de comprendre. Tu es allée faire un contrôle à l’hôpital ?

Nina ne veut pas de sa compassion, elle compte bien poser ses questions elle aussi :

- J’ai tout perdu en l’espace de quelques minutes, Hippolyte, alors non, ça va pas. Mais ça ira déjà mieux quand je saurai ce qui s’est passé.

- OK, raconte-moi ce que tu faisais quand le feu s’est déclaré.

- J’étais sur mon lit, en train de manger.

- Quelle heure était-il ?

- 20h, peut-être 20h30. J’ai d’abord senti la fumée.

Nina lui raconte les événements qui ont suivi.

- D’après les premières constatations, l’incendie s’est déclaré au rez-de-chaussée, au niveau de ta chambre. Est-ce que tu aurais par hasard laissé une bougie sans surveillance ? Un appareil électrique allumé ? Un grille-pain, un fer à lisser ?

- Non, non et non je ne jette pas non plus des allumettes sur mes rideaux. L’incendie ne venait pas de ma chambre.

- D’accord, je te crois.

- On dirait pas.

- Je dois malgré tout poser ces questions, Nina. Est-ce que tu as vu quelqu’un ou quelque chose qui sortait de l’ordinaire dans les minutes qui ont précédé le départ du feu ?

La jeune femme réfléchit un instant. Il y avait bien eu cette sensation bizarre d’être épiée de l’extérieur, mais Hippolyte allait la prendre pour une parano si elle se mettait à raconter ça. D’ailleurs, il n’y avait pas grand-chose à dire, c’était juste une sensation, l’espace d’une seconde.

- Bon s’il y a quoi que ce soit qui te revient, tu as mon numéro.

Nina hoche la tête.

Au moment où l’inspecteur prend congé des étudiants, Zoé entre dans le bureau des plaintes. Tous deux échangent un regard :

- Mademoiselle, dit poliment de Kalbermatten.

Zoé fonce droit vers son bureau, sans répondre.

Nina est maintenant pleinement réveillée, son cours commence dans dix minutes et son estomac réclame un croissant au chocolat.

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*

 

Quelques heures plus tard, Nina et Simon se retrouvent au bureau des plaintes. Ce dernier a proposé à sa sœur de l’accompagner à Elsa Cameron pour constater l’ampleur des dégâts.

- J’ai encore de la peine à y croire, explique la jeune femme. Toutes mes affaires… Heureusement, j’ai eu le réflexe de sauver mon smartphone et mon ordi, mais le reste…

- Quand j’étais petit, ma mère a mis le feu à notre cuisine, raconte Michaël d’un ton désinvolte. Involontairement. Elle avait oublié un gratin de raviolis dans le four. C’était la première et la dernière fois que je l’ai vue cuisiner. Bref, tout ça pour dire que ma mère n’a rien voulu jeter, à part le plat de raviolis, et qu’on a réussi à récupérer pas mal de choses.

- J’espère que j’aurai autant de chance.

Depuis le début de la matinée, Michaël s’attelle à récolter les coordonnées de toutes les étudiantes touchées par l’incendie. Le bureau des plaintes souhaite assister l’Université dans la gestion de cet événement dramatique.

- Je vous accompagne pas, j’ai encore du boulot, grinche-t-il. Mais on peut se retrouver ce soir au Croc’, si vous voulez.

Le rendez-vous est pris.

En chemin, Nina raconte à son frère l’interrogatoire de la police.

- Est-ce que Zoé était là quand de Kalbermatten est passé ? s’inquiète Simon.

- Non, elle est arrivée juste au moment où il sortait. Pourquoi ?

- Je les ai aperçus qui discutaient hier soir, pendant l’incendie.

- OK. Pourtant ils n’avaient pas l’air de se connaitre quand ils se sont croisés ce matin.

Simon hausse les épaules, comme pour dire que c’est sûrement une coïncidence.

Au milieu du campus, la façade sud de la résidence pour filles, repeinte en noir par l’incendie, fait tache sur le ciel bleu. Les vitres du bas ont explosé et des restes de rideaux carbonisés volent au vent, comme si un accidenté invisible appelait à l’aide avec un drapeau.

Des cordons de police délimitent un périmètre de sécurité tout autour de la résidence. Deux hommes en uniforme discutent devant les décombres, l’un d’eux les interpelle :

- Vous ne pouvez pas entrer ! Le bâtiment n’est pas encore sécurisé.

- Je voulais voir si je pouvais récupérer quelques affaires dans ma chambre, explique Nina.

- Désolé, c’est impossible.

- Vous savez jusqu’à quand ?

- Non. Une enquête est en cours. L’Université vous tiendra au courant.

Sur ce, les deux hommes disparaissent à l’intérieur.

Au bord des larmes, Nina contemple les dégâts, impuissante. Les traces des flammes montent clairement du rez-de-chaussée jusqu’au deuxième étage.

- Qu’est-ce qu’il y a sous ta chambre ? interroge Simon.

- Rien. Il n’y a personne au rez, juste des locaux : pour les vélos, le personnel d’entretien, la chaudière, l’électricité. En ce moment, je crois qu’ils stockaient du matériel et des machines pour les travaux qui ont lieu au troisième.

- Personne n’y a accès à part les employés ?

- Non, tout est fermé à clé. À quoi tu penses ?

Pensif, Simon fait craquer ses doigts avant de répondre :

- Si le feu n’a pris ni au rez-de-chaussée, ni dans ta chambre, il ne pouvait venir que de l’extérieur. Peut-être que la fille qui vit au-dessus a jeté son mégot de cigarette par la fenêtre ?

Nina ne semble pas convaincue par l’hypothèse de son frère. Fumer à l’intérieur de la résidence est strictement interdit. Toutes les filles le savent et pas sûre qu’une d’entre elles prendrait le risque de se faire renvoyer pour ça. Les rares fumeuses sont toujours amassées autour du cendrier, en bas du perron.

- Avec le vent qu’il y avait, il suffisait d’une braise pour transformer l’herbe en brasier. Mais bon, je suis pas spécialiste.

Le frère et la sœur s’approchent le plus qu’ils peuvent du cordon de sécurité. La pelouse est cramée sur un rayon d’environ trois mètres autour de la résidence. Leurs chaussures pataugent dans la boue qui s’est formée après l’extinction du feu.

- Regarde ça, dit Simon en pointant du doigt un buisson derrière eux.

Au pied de l’arbuste, une demi-douzaine de mégots de cigarette sont éparpillés dans l’herbe. Certains, plus vieux que d’autres. Tous de la même marque : avec un filtre blanc et un liseré doré.

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*

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L’esprit ailleurs, Simon et Nina boivent leur soda au comptoir du Croc’. Nina vient de confier à son frère qu’elle se sent épiée depuis quelque temps. Selon lui, la présence des mégots au pied de sa fenêtre ne prouve pas que quelqu’un l’observait depuis là, pourtant la jeune femme a le pressentiment que tout est lié.

- Je pense qu’on devrait prévenir Hippolyte de nos découvertes.

- S’il a bien fait son travail, il aura déjà prélevé un échantillon pour analyser l’ADN.

- Bon, je lui écris quand même.

Michaël sort du vestiaire des employés et commence son service au bar. Nina dépose un paquet de cigarettes sur le comptoir.

- C’est pas les miennes, j’ai arrêté de fumer, se justifie le jeune homme. Elles doivent être à Zoé.

Nina lève les yeux de son smartphone :

- Non, je les ai achetées à la station-service de l’autre côté de la route.

- Tu t’es mise à fumer ? interroge Michaël, surpris.

- Quoi ?

- Euh… quoi ?

Face au dialogue incohérent de ses collègues, Simon raconte à Michaël qu’ils ont trouvé des mégots de cette marque de cigarettes par terre devant Elsa Cameron.

- Pourquoi t’as cru que c’était à Zoé ? questionne Nina. Elle fume des cigarettes électroniques.

- Sauf quand elle les oublie. Elle a toujours un paquet de secours sur elle.

- Cette marque-là ? s’assure Simon.

- Ouais, il me semble en avoir vu sur son bureau.

Pendant qu’ils discutent, Michaël prépare un plateau de boissons qu’il va déposer sur une table près de l’entrée. Quand il revient, Nina est perdue dans ses réflexions :

- Pourquoi Zoé m’espionnerait-elle ?

- Attends, Nina. Il doit y avoir des dizaines d’étudiants qui fument ces clopes-là, réplique Michaël.

- Ouais, mais Simon a dit qu’il avait vu Zoé sur les lieux du crime, le soir même. J’ai toujours dit qu’il y avait quelque chose de bizarre à propos de cette fille.

Son téléphone vibre. Une réponse de l’inspecteur :

- Apparemment, l’enquête a conclu que le feu est dû à une défaillance électrique. Certains matériaux stockés au rez pour les travaux ont aidé à la propagation rapide de l’incendie.

- Bon, au moins personne n’a essayé de t’immoler vivante, plaisante Michaël.

- Peut-être… mais ça n’explique pas tout quand même.

Simon connait sa sœur ; quand elle a une idée en tête, elle ne la quitte pas tant que toute la lumière sur la situation n’a pas été faite.

- J’ai aussi reçu un e-mail de l’Université, continue Nina. Ils disent qu’on n’aura pas accès à nos chambres avant trois semaines minimum. Peut-être plus pour celles gravement touchées par l’incendie. Ils cherchent des solutions pour reloger toutes les étudiantes.

- Pas facile en plein semestre, commente son frère. Mais tu sais que tu peux squatter mon canapé en attendant.

- Moi j’ai une chambre de libre, intervient Michaël, la main sur la tireuse à bière.

Simon y avait pensé, mais il ne voulait imposer cette solution ni à sa sœur, ni à son ami.

- Elle est meublée et dispo tout de suite, renchérit le jeune homme. Si tu veux…

Nina a de la peine à s’imaginer dormir dans l’ancienne chambre de son frère, prendre sa place dans la coloc’ et vivre quotidiennement avec Michaël. Mais la pensée de passer trois semaines sur le canapé de Simon et Chris ne l’enchante pas plus. Et après tout, ce serait temporaire.

- C’est gentil, Mic. Ça me dépannerait bien.

- OK ! Tu peux venir dès ce soir. Je finis mon service à 20 heures.

- Mais t’es sûr que ça ne dérangera pas Maya ?

- C’est mon appart’ maintenant, c’est moi qui décide, répond-il en haussant les épaules.

Simon retire la clé de son porte-clé et la tend fièrement à Nina :

- Si tu changes d’avis, notre porte est toujours ouverte, lui glisse-t-il à l’oreille. Enfin, au sens figuré, parce qu’en vrai, on verrouille.

Nina sourit et remercie son frère d’un regard.

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*

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Peu après 20h, Nina entend du bruit dans le couloir de l’appartement et sort de sa chambre. Elle pense tomber sur Michaël qui rentre après le travail, mais c’est Maya, en train d’accrocher son manteau dans l’entrée, qui affiche un visage encore plus surpris qu’elle.

- Nina ? Qu’est-ce que tu fais là ?

- Euh… Michaël ne t’a pas avertie ? répond la jeune femme, embarrassée.

Maya plante ses poings sur ses hanches, l’air franchement contrarié.

- Mon appartement a brûlé et il m’a proposé de dormir dans la chambre de mon frère pendant quelque temps.

- Brûlé ? s’étonne-t-elle. Mmhh…

Suit un moment de silence pendant lequel les deux jeunes femmes s’évitent du regard. Puis, Michaël arrive à son tour :

- Salut Maya, je savais pas que tu venais ce soir.

Nina s’éclipse dans la cuisine, le temps que Michaël embrasse sa copine et lui explique la présence de sa collègue. Maya s’enferme ensuite dans la salle de bain et Michaël rejoint Nina :

- Ça va ? Tu t’es bien installée ?

- Oui, merci encore de m’accueillir.

- Tu veux boire quelque chose ?

- Volontiers.

Michaël ouvre le frigo, contemple les rayonnages vides et le referme.

- De l’eau ? Plate ?

- Parfait, sourit Nina.

- Désolé, dit-il, gêné. Je suis pas doué pour m’organiser. Acheter à manger, cuisiner, c’est pas trop mon truc.

- Pas grave, moi non plus !

Il tend un verre d’eau à Nina et les deux nouveaux colocataires trinquent :

- Bienvenue chez nous !

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FIN DE L’ÉPISODE 3

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