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Saison 3 - Épisode 2

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Ça déménage (partie 1)

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Chris dépose un couteau et une fourchette de chaque côté de l’assiette et sort une carafe d’eau fraîche du frigo. Du coin de l’œil, il observe Simon qui a retourné le contenu de son sac sur le canapé.

- Le dîner est prêt, annonce-t-il.

- Est-ce que t’as vu le chargeur de ma tablette ? s’exaspère Simon.

- Non, désolé. Mais tu peux prendre le mien qui est sous la télé.

- Je dois l’avoir laissé à l’appart’… rage le jeune homme, en s’asseyant à table.

Chris pose ses mains sur les épaules de Simon, son menton sur le haut de son crâne :

- Si t’es pas complètement prêt à emménager ici, je comprendrai, murmure-t-il. Tu peux prendre tout le temps dont tu as besoin.

- C’est pas ça, soupire Simon. Je ne sais juste pas comment l’annoncer à Michaël. Je redoute qu’il le prenne mal et qu’il croie que la seule personne sur qui il peut compter l’abandonne, tu vois ?

Les événements de l’année précédente avaient fait tomber Michaël dans ses plus sombres travers. Une véritable descente aux enfers dont Simon avait été le témoin impuissant. Toutefois, il avait su poser des limites quand son colocataire avait été trop loin et il était resté présent pour l’aider à remonter la pente.

- Tu seras toujours là pour lui, même si tu ne dors plus dans la chambre à côté.

- T’as raison, je vais lui en parler demain.

Simon se sert un verre d’eau et le boit d’une traite. Chris le regarde avec un sourire malicieux :

- T’as déjà dit ça la semaine passée, et celle d’avant. Ça fait bientôt un mois que les cours ont repris…

- OK, OK. Je vais lui écrire un message.

Simon sort son téléphone et tape un bref message : « On peut se voir demain soir ? Il faut qu’on parle. »

- Envoyé.

- T’as mérité ta portion de gnocchi, plaisante Chris en laissant tomber une belle cuillérée de sauce tomate dans l’assiette de son copain.

- J’espère bien, c’est moi qui les ai préparés !

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*

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Nina s’installe sur le fauteuil de bureau encore chaud sans quitter Zoé des yeux. Elle n’arrive toujours pas à cerner cette fille, alors elle épie chacun de ses mouvements tandis que Zoé récupère ses affaires. Depuis l’arrivée de cette dernière dans l’équipe, les deux jeunes femmes n’ont fait que de se croiser. Le local du nouveau bureau des plaintes étant si petit, les collègues se sont organisés pour fonctionner en tournus. Simon travaille uniquement le mercredi après-midi. Zoé gère les mardis de 13h à 15h et les vendredis matins. Nina et Michaël s’occupent du reste.

Il est justement quinze heures quand Nina vient relever Zoé de ses fonctions :

- Ça marche pour toi ?

Nina n’a pas écouté un mot de sa collègue :

- Hein ? Pardon, j’avais la tête ailleurs…

- Il faut que tu recontactes cet étudiant pour lui demander de passer demain après-midi. J’ai laissé ses coordonnées dans l’agenda.

- Ah oui, bien sûr. Je vais m’en occuper tout de suite.

- Super ! Merci Nina !

Zoé reste quelques secondes sur le pas de la porte :

- N’hésite pas à m’appeler si besoin.

Nina acquiesce, puis a tout à coup une idée :

- Zoé ? Est-ce que ça te dirait de venir boire un verre ce soir au Croc’ avec moi et les garçons ?

La jeune femme rougit et passe une mèche de ses cheveux frisés derrière son oreille avant de répondre :

- Avec plaisir !

- Génial, à tout à l’heure.

À ce moment précis, Nina se déteste. Zoé paraissait sincèrement heureuse de l’invitation. Elle doit penser que c’est une manœuvre pour l’intégrer au groupe et faire connaissance. Mais Nina sait qu’elle l’a fait pour de mauvaises raisons : tout ce qu’elle cherche à savoir, c’est qui est Zoé, d’où elle vient et comment elle a réussi à obtenir ce poste. Tout ce que Zoé a daigné dévoiler, c’est qu’elle étudie l’histoire de l’art en première année.

Dans son malaise, Nina se tortille sur sa chaise et se cogne les orteils au bureau.

- Satané local… maugrée-t-elle.

Depuis qu’elle a repris le boulot, la jeune femme a mal aux muscles et des bleus partout à force de rentrer dans les meubles de cette pièce trop petite. Elle n’arrive pas à s’y faire.

Selon le doyen Freiss, c’est le seul bureau disponible dans l’aile administrative. Il prétend que leur ancien espace doit être réaffecté, mais Nina passe devant tous les jours depuis un mois et, à part la poussière, personne ne semble occuper la pièce. Il faut vraiment qu’ils trouvent un moyen de convaincre la Faculté que cet endroit est indispensable au bon fonctionnement du bureau des plaintes.

Nina abordera le sujet avec ses collègues ce soir, pour l’instant, il faut qu’elle se concentre sur son travail.

- Où est l’agenda ? parle-t-elle tout haut. Ah oui, dans le tiroir du haut. Aïe mon genou !

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*

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Michaël n’est pas de service ce soir au Croc’. Il s’est installé au coin d’une table, près du flipper. Il consulte son téléphone et surveille les allées et venues pour éviter qu’on lui fauche un des fauteuils réservés à ses collègues. Heureusement, Nina le rejoint rapidement.

- Tu veux boire quoi ? demande le jeune homme, qui se sacrifie pour aller passer la commande au bar.

- Un… truc avec… de la vodka.

- Un cosmo ? Bloody Mary ? Moscow Mule?

- Je sais pas, c’est toi le spécialiste.

Michaël hausse les épaules et dépose, quelques minutes plus tard, un verre devant Nina.

- Dure journée ?

- Ça va… marmonne la jeune femme en trempant ses lèvres dans son cocktail. Et toi ?

- Bien, bien. Simon m’a envoyé un message hier pour dire qu’il voulait me parler de quelque chose d’important. Tu sais de quoi il s’agit ?

Nina replonge dans sa boisson pour éviter le regard de son ami. Elle ne peut pas trahir son frère et mentir à Michaël lui parait impossible. Elle fait une grimace pour gagner du temps :

- C’est quoi ce cocktail ?

- Un bloody cosmopolitan, avec une touche de ginger beer. Je viens de l’inventer, rigole Michaël en voyant la tête déconfite de Nina.

- Très… intéressant…

Heureusement, Nina n’a pas besoin de changer de sujet car Simon débarque et se laisse glisser dans le dernier fauteuil libre. Il garde ses mains dans ses poches et a le visage fermé.

- Un conseil : ne laisse pas Michaël commander à boire pour toi, plaisante Nina pour le détendre. Il a des envies créatives ce soir.

- J’ai pas très soif, confie Simon.

Le silence qui suit met Nina encore plus mal à l’aise.

- J’ai invité Zoé à se joindre à nous, lance-t-elle de but en blanc.

- Ah bon ? C’est sympa de ta part, remarque son frère, très content de pouvoir repousser si facilement le sujet de discussion avec Michaël.

- Comme t’as l’air surpris que je fasse quelque chose de sympa pour une fois, je ne vais pas révéler les véritables raisons pour lesquelles je l’ai invitée…

- On sait, Nina ! Tu la trouves louche et tu veux découvrir quel lourd secret elle cache, se moque Michaël. Bon, et toi Simon ? Tu voulais me dire quelque chose, non ?

C’est le signal que Nina espérait pour se lever et s’éclipser discrètement. Parmi la foule, elle cherche Zoé, qui ne semble pas encore arrivée. Nina décide donc de sortir l’attendre devant le pub-lounge.

En face d'elle, le portail en fer de l’entrée principale de l’Université accueille les étudiants. À travers, elle aperçoit le parking et plus loin, la route. Une silhouette familière se dirige vers une voiture et monte à l’intérieur. Nina a tout juste le temps de reconnaitre l’inspecteur de police, Hippolyte de Kalbermatten. La jeune femme réalise qu’elle n’a eu aucun contact avec lui depuis la mort de Georgina Rose. Ce n’est d’ailleurs jamais bon signe de le croiser sur le campus…

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*

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- T’es sûr que tu veux rien boire ? demande Michaël à son colocataire.

- Non, non. Ça va, merci.

L’attitude de Simon commence à exaspérer le jeune homme :

- Bon, Simon, ça fait des semaines que tu m’évites ! Et hier tu m’envoies ce message mystérieux. De quoi tu veux qu’on parle ?

Soudain, Simon a la bouche toute sèche et regrette de ne pas avoir commandé une boisson.

- Je déménage, annonce-t-il, la gorge serrée.

- À l’étranger ?

- Non ! Chez Chris.

- Ah ouf, tu m’as fait peur, se rassure Michaël. T’as besoin d’aide pour bouger tes affaires ?

Simon fronce les sourcils. Il avait imaginé un Michaël triste de le voir partir, un Michaël fâché de se retrouver seul, même un Michaël content pour lui. Tout, sauf ça. Il est presque déçu :

- Euh… il y a déjà une bonne partie qui… C’est Nina qui te l’a dit, hein ?

- Pas du tout.

- T’es entré dans ma chambre ?

- Non ! Simon, qu’est-ce qui t’arrive ?

Simon plante ses coudes sur ses genoux et enfouit sa tête dans ses paumes :

- Je sais pas… J’avais peur de te le dire… Je pensais que tu réagirais… différemment.

Michaël a envie d’éclater de rire, mais il se retient devant l’air sérieux de son colocataire :

- Hé, mec ! Je suis heureux pour toi, t’inquiète ! C’est juste que je m’y attendais un peu, vu que je ne te vois plus à l’appart’ depuis des mois. C’était la suite logique.

- Alors t’es pas déçu ?

- Au fond, bien sûr que oui ! Je perds mon coloc’ préféré, mais tu restes encore mon meilleur ami.

L’ambiance dans le Croc’ semble se détendre soudainement et Nina, suivie de Zoé, rejoint les garçons.

- T’as l’air soulagé, déclare Nina en voyant son frère.

- Je vais pouvoir débarrasser mes dernières affaires ce week-end et aller de l’avant sans remords.

- Qu’est-ce qui se passe ? interroge Zoé.

- Simon quitte notre coloc’… répond Michaël, d’un ton faussement dépité.

- Ah justement, je cherche une chambre près de l’Université.

Un ange passe au-dessus de leurs têtes. Michaël avale lentement sa boisson, Simon contemple les jointures de ses mains, et Nina se dévoue pour rompre le moment gênant :

- T’habites pas sur le campus ?

- Non, je suis chez mes parents, à environ une heure d’ici.

- Waouh, je comprends alors, répond Nina, qui lance un regard intéressé à Michaël.

Ce dernier secoue discrètement la tête :

- C’est-à-dire que… je pensais proposer à Maya de…

- Rien ne presse, en tout cas, interrompt Simon. Je paierai le loyer jusqu’à ce que tu trouves quelqu’un.

Michaël le remercie d’un geste.

- Et sinon Zoé, comment te sens-tu au bureau des plaintes ?

- Bien, merci ! Le travail me plaît.

- D’ailleurs, intervient Nina, t’as postulé directement auprès de Freiss ?

- Ouais, j’ai vu l’annonce sur internet et j’ai envoyé mon dossier. Par contre, j’avais imaginé qu’on collaborerait un peu plus.

- C’est à cause du nouveau local, explique Simon. On peut pas faire entrer trois personnes, c’est invivable !

- Justement ! rebondit Nina. Il faut qu’on récupère notre ancien bureau.

- Mais Freiss a dit…

- Je sais, coupe-t-elle, en se massant l’arête du nez du bout des doigts.

Michaël se penche en avant et adopte le ton de la confidence :

- Hier matin, un gars a débarqué au bureau, comme une furie. Je lui demande ce que je peux faire pour lui. Il me répond qu’il aimerait porter plainte. Je lui dis : « contre quoi ? ». Vous savez ce qu’il me rétorque ?

Les trois autres secouent la tête, alors le jeune homme annonce fièrement :

- Il voulait déposer plainte contre le bureau des plaintes ! Ça faisait près d’une heure qu’il courait dans tout le bâtiment pour trouver nos locaux et il n’a pas pu assister à son cours.

Nina bouillonne de rage.

- Qu’est-ce que tu lui as répondu ? demande Simon.

- Bah, je lui ai fait remplir un formulaire officiel.

- Parfait ! s’exclame Nina. Je vais le joindre à ma longue liste d’arguments pour convaincre Freiss.

- On pourrait aussi envoyer un formulaire de satisfaction à tous les élèves de l’Université en leur demandant ce qu’ils pensent du nouveau bureau des plaintes, suggère Simon.

C’est beaucoup de travail, pense Nina. Mais si ça peut les aider dans leur démarche, la jeune fille est prête à tout.

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FIN DE LA PARTIE 1

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Ça déménage (partie 2)

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Simon est soulagé d’entendre son professeur annoncer la fin du cours. Il récupère son ordinateur et ses notes, sans prendre le temps de les ranger dans son sac, et quitte la salle de classe. Il entend quelques murmures désapprobateurs derrière lui, mais fait mine de les ignorer. Heureusement, il a une heure et demie de pause devant lui pour se calmer et manger quelque chose.

Le jeune homme sort du bâtiment informatique ultramoderne et à la pointe de la technologie, pour entrer dans le réfectoire. Des dizaines d’étudiants font la queue au self, un plateau entre les mains. Une odeur de steak grillé et de produit vaisselle traîne dans l’air et ne rassérène pas le végétarien qu’il est devenu en vivant avec Chris.

Justement, son copain lui a réservé une place au fond de la cafétéria. Il a même pris l’initiative de commander un panini aux légumes et une salade pour Simon : leur repas habituel du vendredi midi.

- Merci, tu me sauves la vie, soupire Simon en s’écrasant sur la chaise à côté de lui.

- Et celle de ta sœur ? rétorque Chris, qui agite les bras au-dessus de sa tête.

Perdue parmi la foule, Nina cherche un siège libre. Un sourire éclaire son visage quand elle voit Chris lui faire signe de le rejoindre. Elle joue des coudes jusqu’à leur table, manquant plusieurs fois de renverser son plateau et aspergeant d’eau pétillante sa tranche de quiche.

- Salut, quelle chance que vous ayez trouvé un coin !

- Je suis arrivé juste avant le rush.

Le regard fixé sur les miettes dans son assiette, Simon mâchouille nerveusement son panini.

- Tout va bien ? s’inquiète Chris.

- Non.

- Mais encore ? relance sa sœur.

- C’est ce travail de groupe qui me prend la tête.

- Ah, ton cours de cryptographie…

Devant l’incompréhension de Nina, Chris tente d’expliquer :

- Chaque groupe doit réfléchir à un système de protection des données informatiques et le présenter par oral à la classe. Sauf qu’il faut d’abord que tous les membres du groupe se mettent d’accord sur le système à présenter…

- Sur le meilleur système, précise Simon. Pas juste n’importe lequel. Et je suis persuadé que le mien est beaucoup plus sûr que celui qu’ils veulent proposer. Ça fait trois semaines que j’essaie de leur prouver, mais ils ne m’écoutent pas !

- Peut-être qu’au lieu de vouloir prouver à tout prix que le tien est meilleur, tu devrais leur démontrer les failles de leur système, suggère Chris. Ils seraient obligés de trouver des améliorations ou réfléchir à des alternatives.

- Mmhh… marmonne Simon, qui attaque maintenant sa salade à coups de fourchette.

- Chris, Simon, vous êtes des génies ! s’exclame alors Nina.

Les deux garçons la regardent, dubitatifs.

- Vous venez de me donner la solution pour convaincre le doyen !

Fébrilement, Nina sort un calepin de son sac et se met à gribouiller une page avec ses idées. Enfin, elle prend le temps de délivrer Simon et Chris de leur étonnement :

- Si Freiss refuse de nous écouter et de nous rendre notre ancien bureau… on va lui prouver que son local pourri ne nous convient pas et nous en débarrasser.

- Tu penses à quoi ? s’étonne Simon. Y mettre le feu ?

- Quelque chose du genre, dit Nina d’une voix mystérieuse. Mais en toute légalité.

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*

 

Michaël Fassnacht est penché sur la table de la salle à manger et s’applique à toucher une feuille du bout de son pinceau. Il secoue la tête, trempe la pointe dans un pot de peinture et recommence ses petites taches. Ses multiples essais sont éparpillés autour de lui, dans un camaïeu de verts.

Le jeune homme a de la peine à se concentrer sur sa tâche. Son esprit vagabonde constamment vers ce qui le préoccupe depuis vingt-quatre heures : trouver un nouveau colocataire. Devrait-il proposer la chambre à quelqu’un qu’il connait ? Peut-être un gars qui est en cours avec lui. Ou mettre une petite annonce sur internet ? Il faudrait qu’il fasse une liste des critères pour trier le bon candidat. Ou candidate.

Michaël sursaute quand Maya entre dans la pièce et sa main renverse un verre d’eau grisâtre. Il jure.

- Tout va bien ? lui demande la jeune femme.

- Oui, oui, soupire-t-il.

- On commande des tacos ?

- Si tu veux…

Alors que Maya passe commande sur son téléphone, Michaël se lance :

- Simon déménage chez son copain. Sa chambre sera libre ce week-end et je me demandais si…

- Tu veux des jalapeños ?

Michaël dit que non et attend qu’elle ait terminé pour continuer :

- Je me demandais si tu voudrais venir habiter ici ?

La mine désolée de Maya lui fait craindre d’avoir commis une erreur. Quatre mois de relation, c’est beaucoup pour Michaël, mais il se dit que c’est peut-être trop tôt pour s’engager dans une cohabitation.

- J’aimerais bien, répond-elle. Mais… je m’éloignerais de mon lieu de travail. C’est pas très pratique.

- Ouais, je comprends.

Maya s’approche de son copain et entoure sa poitrine de ses bras :

- Je continuerai à venir dormir ici de temps en temps, t’inquiète.

Elle dépose un baiser sur sa joue.

Michaël est déçu, mais accepte la décision. Ça doit être mieux ainsi.

- Peut-être que je proposerai la chambre à Zoé, murmure-t-il. Ça m’évitera de chercher quelqu’un.

- C’est qui Zoé ?

- Ma collègue.

- Je croyais qu’elle s’appelait Nina.

- Nan, mon autre collègue. La nouvelle.

Maya se met à ronger l’ongle de son pouce droit.

- Ce serait pas un peu bizarre d’habiter avec ta collègue ?

- Oui, c’est aussi ce que je me suis dit.

- Tu devrais poster une annonce au Croc’, les soirs où tu travailles.

Pensif, Michaël acquiesce et se reconcentre sur sa peinture.

- C’est quoi tout ça, au fait ? s’enquiert Maya, qui semble ne remarquer qu’à l’instant la table couverte de feuilles à pois.

- Un bricolage pour le boulot. Je m’entraine pour un projet de grande envergure…

Maya lève des sourcils intrigués et abandonne ses questionnements à la sonnerie du livreur.

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*

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Le lendemain, le nez collé au pan de mur sous la fenêtre, Nina inspecte les petites taches verdâtres.

- Wouah ! C’est du grand art Mic ! s’exclame-t-elle. Je savais pas que t’avais un talent pour la peinture.

- Tellement de choses que tu ignores sur moi, Nina, plaisante-t-il en retour.

Elle approche son doigt de la paroi.

- Attention ! Ce n’est pas encore tout à fait sec.

- Alors c’est parfait !

La jeune femme se recule pour prendre quelques photos avec son téléphone portable.

- Notre ticket pour la liberté ! OK, maintenant, rajoutes-en plus.

Michaël se remet au travail sous l’œil attentif et admiratif de Nina.

Soudain, la poignée de la porte bouge. Les deux collègues se figent. Ils ont fermé le local à clé afin de ne pas être dérangés et pris sur le fait.

- Nina ? Michaël ? entendent-ils appeler depuis l’extérieur.

- C’est Zoé, chuchote Nina.

La confiance n’étant toujours pas au rendez-vous, elle avait préféré ne pas tenir la jeune femme au courant de leur plan machiavélique pour se débarrasser du bureau. Le téléphone de Nina se met à vibrer.

- Euh, Nina ? Je sais que tu es là, ouvre-moi, s’il-te-plait.

Le bras suspendu en l’air, Michaël voit son amie jurer en silence et lui faire de grands signes pour qu’il cache son matériel.

- J’arrive Zoé ! Désolée, je ne voulais pas être dérangée pendant la pause de midi, alors j’ai verrouillé la porte.

Zoé passe une tête suspicieuse dans l’entrebâillement.

- Qu’est-ce qui se passe ?

Embarrassé, Michaël ne voit aucun moyen de sortir discrètement de la pièce si exigüe.

- J’ai appelé Mic dès que j’ai découvert ça, annonce Nina en pointant un doigt accusateur sous la fenêtre.

- De la moisissure ? constate Zoé, avec une grimace.

- Oui, apparemment ça a déjà commencé à se répandre. On était en train de prendre des photos pour les montrer au doyen.

- Beurk, grogne Michaël.

- C’est dangereux pour la santé, on ne peut pas travailler dans ces conditions insalubres.

- Étrange… intervient Zoé. Pourtant, on aère tous les jours et l’atmosphère me parait plutôt sèche. Je peux voir ?

Avec réticence, Nina se décale pour la laisser passer. Si leur stratagème passe l’examen minutieux de Zoé, elle ira voir Freiss.

- Au fait, qu’est-ce que tu fais là ? Tu ne travailles pas les lundis, s’enquiert Nina avec l’espoir de détourner un peu l’attention.

- J’ai oublié ma cigarette électronique ici vendredi.

Puis, après un instant d’inspection :

- Joli boulot. On dirait un mélange de pointillisme et de cubisme. Mais faut faire quelque chose pour l’odeur de peinture.

Michaël sourit intérieurement au compliment de sa collègue.

- OK, on se remet au boulot, déclare Nina en tournant à nouveau la clé dans la serrure.

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*

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Le cœur léger, Nina entre dans le bâtiment de l’Union. Sans avoir besoin de réfléchir, ses pieds retrouvent le chemin si souvent parcouru. Pour la première fois depuis le début de l’année académique, elle a plaisir à se rendre au travail. Jamais, elle n’aurait pensé attacher autant d’importance à un lieu.

Au détour d’un corridor, elle croise Zoé. Sa méfiance envers sa nouvelle collègue a un peu diminué depuis que cette dernière les a soutenus dans leurs démarches auprès du doyen. Comme elle avait une position plus neutre au sein du bureau des plaintes et un bon contact avec Freiss, c’est elle qui avait entrepris de le convaincre que le local B316 était infesté de moisissures. Et leurs arguments avaient fait mouche. Photos et preuves à l’appui, ils avaient obtenu de pouvoir utiliser leur ancien bureau tandis que des analyses approfondies sur l’humidité de la pièce allaient être menées.

Utilisant ses connaissances en architecture, Zoé avait porté le coup de grâce : « Le problème avec ces bâtiments historiques, c’est que beaucoup ont été rénovés et comportent de l’amiante. Si le mur devait être traité et isolé en profondeur, il faudrait engager d’importants travaux de désamiantage. »

Freiss avait dû se résoudre et abdiquer, sans pour autant insister sur le caractère temporaire de cette décision. Mais Nina savait que l’Université allait mettre plusieurs semaines, voire même des mois, avant d’entreprendre quelque chose de concret. C’était toujours ça de gagné.

- Prête pour un nouveau départ ? demande Nina. Tu vas voir comment ça change la vie.

- J’ai hâte.

Nina passe son badge et ouvre grand la double porte vitrée de leur ancien lieu de travail.

Les bras ballants, elle découvre la pièce vide. Elle réalise qu’elle aurait dû s’y attendre. Qu’avait-elle pensé ? Que les meubles du professeur Tavernier ou de Georgina Rose seraient réapparus d’eux-mêmes ? Seuls leur unique bureau et le meuble de rangement ont été déménagés et laissés au milieu du vaste espace sous la mezzanine.

- C’est grand, commente Zoé qui se dirige vers l’escalier en colimaçon.

Simon et Michaël arrivent à leur tour.

- Euh… pourquoi y a rien ? s’étonne Michaël.

- C’est peut-être la manière du doyen de nous faire comprendre qu’on a réussi à changer de local mais qu’on n’aura rien de plus…

Simon passe dans la kitchenette, allume le mini frigo et branche la cafetière.

- Mais comment on va faire sans meubles ? s’inquiète Michaël.

- Je peux amener le bureau qui se trouve dans ma chambre. Je comptais pas le déménager.

Nina, qui n’a encore pas prononcé un mot, parcourt la pièce en long et en large :

- C’est génial ! On va pouvoir enfin décorer à notre manière !

- Avec quel argent ? rétorque son collègue.

- On n’aura qu’à parcourir les magasins de seconde-main ou mettre des petites annonces sur le site internet du campus.

- J’ai pas le temps pour ça… gémit Michaël. J’ai mes cours, deux boulots, une copine et un nouveau coloc’ à trouver…

- Ne vous inquiétez pas, je m’occupe de tout ! rassure Nina.

- Moi, je veux bien t’aider, propose Zoé.

- Super ! En attendant, fêtons notre victoire !

Nina part chercher quatre verres dans le coin cuisine et débouche une bouteille de champagne.

- Il est pas très frais, mais j’ai amené ça pour déguster avec.

La jeune femme dévoile un carton de pâtisseries dégoulinantes de chocolat. Les quatre collègues s’installent par terre, en tailleur, et trinquent au bureau des plaintes :

- À notre retour à la maison ! déclare solennellement Nina.

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FIN DE L’ÉPISODE 2

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