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Saison 3 - Épisode 1

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Défauts et qualités (partie 1)

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Simon Dalambert termine de vider le tiroir du bas de son armoire, plie les rabats du carton et déroule un bandeau de scotch par-dessus. Sur le côté, il inscrit au marqueur noir en lettres majuscules « trucs armoire ».

- Un de plus, murmure le jeune homme.

Il place le carton derrière la porte de sa chambre et constate l’avancée de son travail. Son bureau est encore rempli d’affaires de cours et de papiers administratifs. Sa table de chevet regorge de trésors oubliés, comme ce vieux radio-réveil, trois ans d’abonnement à des magazines de jeux vidéo, et autres batteries et ampoules usagées. Autrement, il commence enfin à voir le bout.

Les choses importantes ont déjà trouvé leur place chez son copain. De retour de leurs vacances à Londres, Chris avait trouvé un petit appartement à louer à quelques minutes du campus. Simon avait squatté là-bas tout le reste de l’été, alors c’était assez naturellement que Chris lui avait proposé d’emménager avec lui. Ils partageraient le loyer et les charges, ce qui permettrait à Simon d’économiser de l’argent.

Le jeune homme s’empare d’un carton d’objets à donner et sort dans le couloir. Il a encore juste le temps de passer à la friperie du campus avant midi. Mais le mouvement de la poignée de la porte d’entrée qui s’abaisse le tétanise. Simon se sent comme une biche prise dans les phares d’une voiture. Son colocataire, Michaël Fassnacht, lui lance un grand sourire depuis le palier. Du mieux qu’il peut, Simon cache le carton dans son dos et feint la bonne surprise :

- Salut Mic, ça va ?

- Super ! Et toi ?

Sourire gêné de Simon en guise de réponse.

- Ça tombe bien qu’on se croise, j’ai quelqu’un à te présenter.

Michaël fait un pas de côté pour laisser passer une jeune femme, retenue derrière lui dans le couloir étroit.

- C’est Maya. Ma… copine.

- Enchanté, esquisse Simon, libérant une de ses mains pour saluer Maya.

- De même. Mic m’a beaucoup parlé de toi.

- Ah oui ? (puis adressant un regard accusateur à son colocataire) Tu te rappelles qui je suis alors ?

- Ah, ah. C’est bon, je sais qu’on s’est pas beaucoup croisés cet été. Mais la rentrée est la semaine prochaine, alors on va reprendre nos bonnes vieilles habitudes de colocataires !

Simon acquiesce timidement. Il n’a presque pas vu Michaël pendant les vacances, malgré plusieurs tentatives d’invitation à partager une bière autour d’un barbecue. Depuis qu’il s’est trouvé une copine, le jeune homme semble se donner corps et âme dans cette relation. Il a l’air heureux, se dit Simon. Ce n’était pas le moment de gâcher ça avec la nouvelle de son déménagement.

- Alors, Maya, tu fais quoi dans la vie ? T’es à l’Université ?

- Non, je suis représentante pour une grande marque de boissons.

Simon hoche la tête, détaillant discrètement la jeune femme : elle s’exprime avec les mains et la tête légèrement penchée sur la droite. Ses cheveux châtains naturels frôlent ses épaules et ses yeux délicatement maquillés pétillent.

- Je fais la tournée des restos et des bars de la région pour proposer nos nouveautés, continue Maya. Aucune journée ne se ressemble et j’aime bien discuter avec les clients. En plus, j’ai des boissons gratuites !

- C’est comme ça qu’on s’est rencontrés, ajoute Michaël. Maya est passée au Croc’ cet été pendant mon service.

Simon se dit que ces deux-là se sont bien trouvés au final.

- Bon, je dois filer, explique-t-il. Ravi de t’avoir rencontré Maya. Mic, on se voit à l’Union tout à l’heure ?

Michaël acquiesce et, alors que Simon le dépasse pour sortir de l’appartement, son colocataire remarque le carton qu’il tient dans ses mains.

- Qu’est-ce que t’as là-dedans, au fait ?

- Euh… Des vieilles affaires dont j’ai décidé de me débarrasser.

- Tu fais du tri ?

- Ouais, le grand nettoyage d’avant-rentrée. Tu vois, quoi.

- Waouh ! Si jamais, tu sais où se trouve ma chambre ! lance Michaël avec un clin d’œil.

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Le campus de l’Université miroite sous le soleil tapant des premiers jours de septembre. Les tuiles orangées de l’Union ressemblent à des plaques incandescentes sur lesquelles on pourrait cuire un steak. Simon réajuste ses lunettes de soleil sur son nez et hâte le pas pour atteindre l’ombre du bâtiment. Il traverse la cour intérieure dont l’herbe jaunie par les chaleurs de l’été crisse sous ses chaussures.

Arrivé à l’intérieur, Simon respire enfin. Ici, les murs épais en pierre retiennent le frais. Il passe devant le bureau des plaintes sans un regard et poursuit dans l’aile administrative, jusqu’au fond du couloir. Il retrouve Nina, plantée devant une porte sur laquelle est affiché le nom « David Freiss », suivi de la mention « Doyen ».

- Salut , comment tu vas ?

Il claque une bise sur la joue de la jeune femme.

- Ça va. Un peu stressée…

- À cause de la rentrée ?

- Oui. J’ai vraiment déconnecté pendant les vacances. Alors, retrouver le campus, s’inscrire aux cours, recommencer à travailler… ça fait beaucoup tout à coup.

- C’est normal.

Pour Simon, la reprise a quelque chose d’excitant. Il commence un nouveau cursus supérieur qui va le spécialiser en programmation informatique. Il emménage hors du campus avec Chris. Il n’aura plus besoin de travailler autant pour payer ses études.

- Est-ce qu’on attend Michaël ? demande Nina, en vérifiant sa montre.

- Oui, il ne va pas tarder. Je l’ai croisé à l’appart’ ce matin. Il m’a présenté sa copine.

- Ah oui, j’ai vu ça sur sa photo de profil. Comment elle s’appelle ?

- Maya.

- Elle est sympa ?

- Elle a l’air, ouais.

- Elle est étudiante à l’Université ?

- Non. Elle est représentante pour une entreprise de boissons.

- OK. Et ils sont ensemble depuis longtemps ?

- Je sais pas, Nina, soupire Simon, qui se sent assailli de questions. T’as qu’à demander à Michaël…

- Deux mois, une semaine et quatre jours, répond Michaël, dans leur dos. J’ai pulvérisé mon record.

Le jeune homme se tient droit et fier, le sourire aux lèvres.

- En tout cas, t’as l’air en forme, ajoute Simon. Bon, on y va ?

Nina frappe trois petits coups à la porte et attend qu’on les invite à entrer pour actionner la poignée.

- Bonjour, monsieur Freiss. Je suis Nina Dalambert.

- Enchanté. Et vous devez être monsieur Dalambert. Monsieur Fassnacht, content de vous revoir.

Simon lance un regard d’incompréhension à sa sœur ; Michaël a déjà rencontré le doyen ? Nina lève les sourcils et prend place dans l’un des trois fauteuils, qui font face à Freiss.

- Très bien, commence ce dernier. Je vous ai convoqués aujourd’hui pour évoquer le futur du bureau des plaintes de l’Université. Comme vous le savez, suite aux événements dramatiques de l’année passée, la direction de l’Université avait temporairement fermé le bureau.

Nina ne peut s’empêcher de trembler au souvenir du coup de feu qui avait atteint Georgina Rose, leur ancienne responsable, en pleine poitrine.

- Toutefois, poursuit le doyen, je me suis entretenu avec monsieur Fassnacht pendant l’été et il a su trouver des arguments plutôt convaincants. Le questionnaire que vous avez fait passer aux étudiants de l’Université prouve qu’il y a un réel besoin de garder le bureau des plaintes ouvert.

- Le questionnaire ? s’étonne Nina.

- Oui, il veut parler du sondage, confirme Michaël à l’attention de sa collègue. Content que ça ait pu être utile.

Nina croise les bras pour masquer son incompréhension.

- Tout à fait, reprend le doyen. Grâce à votre motivation et vos initiatives, j’ai pu engager une nouvelle fois la conversation avec la Faculté. Et ils ont été d’accord d’offrir une nouvelle chance au BPU.

Les trois étudiants poussent un soupir de soulagement.

- À une condition… enchaine Freiss. Que ce soit sous la responsabilité de mon décanat. C’est donc à moi directement que vous devrez répondre cette année.

Le doyen les fixe d’un regard strict, mais Michaël est trop heureux de ne pas perdre son job pour le remarquer.

- Monsieur Dalambert, on m’a transmis votre message. Si je comprends bien, vous souhaitez réduire votre temps de travail à une demi-journée par semaine.

Simon acquiesce.

- Il va donc falloir engager quelqu’un pour reprendre vos heures. J’ai déjà fait publier une annonce à l’Université. Par contre, je n’ai pas le temps de m’occuper de ça maintenant. Votre première tâche sera d’organiser les entretiens d’embauche. J’attends que vous me soumettiez un ou une candidate avant la fin de la semaine prochaine.

- C’est à nous de faire passer des interviews ? demande Nina, un peu prise de court.

- Oui. Après tout, c’est vous qui allez travailler avec cette personne, c’est donc normal que vous ayez votre mot à dire.

- Super ! s’exclame Michaël. Vous pouvez compter sur nous.

- Très bien. Je propose qu’on fixe un rendez-vous hebdomadaire. Disons, tous les mercredis à midi. Nous ferons le point sur les affaires en cours et je répondrai à vos questions. Maintenant, je dois vous laisser, j’ai une séance qui commence dans deux minutes à l’autre bout du bâtiment.

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Simon, Nina et Michaël traversent la cour intérieure et arrivent sur la terrasse du Croc’ au moment où une table se libère. Elle est idéalement située à l’ombre des arcades de l’Union. Ils commandent chacun une limonade, citron pour Nina et Michaël, menthe pour Simon.

- Bon, Mic, tu nous expliques ? C’est quoi cette histoire de sondage ? attaque Simon.

Le jeune homme s’enfonce dans son siège.

- C’est un truc que j’ai fait pendant l’été…

- Mais pourquoi tu nous as rien dit ?

- Je me sentais un peu coupable. C’est quand même à cause de moi que tout est parti de travers l’année passée. Alors j’ai pris rendez-vous avec le doyen, j’ai monté un dossier de motivation et j’ai croisé les doigts.

Nina boit une gorgée de sa boisson et Simon passe une main moite dans ses cheveux bouclés :

- Merci, t’as fait du bon boulot.

- C’est normal. Je voulais pas que vous perdiez votre travail par ma faute.

- C’est sympa, merci Mic, conclut Nina.

Pendant une minute, les trois amis se relaxent au son des discussions animées des étudiants. Michaël ferme les yeux et se concentre sur la musique reggae qui provient de l’intérieur du Croc’. Il savoure le plaisir de retrouver Simon et Nina, le calme avant la reprise, l’instant présent. Tout ça lui avait manqué pendant les deux longs mois de vacances. Son temps avait été partagé entre son travail pour gagner de l’argent et Maya qu’il avait appris à connaître. Il n’avait presque pas eu de moment à lui.

- Alors, comment on s’organise pour faire passer les entretiens d’embauche ? questionne finalement Nina.

- Est-ce que vous pouvez vous en occuper tous les deux ? Je ne vais pas avoir beaucoup de temps ces prochains jours, s’excuse Simon.

- Bien sûr ! Nina, on peut se retrouver lundi pour faire un premier tri des dossiers et contacter les premiers candidats.

- D’accord et d’ici là, on commence à réfléchir à des questions qu’on pourrait leur poser, suggère Nina.

- Par exemple, comment réagirais-tu si tu te faisais prendre en otage par une tueuse folle ?

- Ou, serais-tu prêt à tout pour infiltrer et démanteler un trafic de drogue ?

Les trois amis éclatent de rire.

- On ferait mieux de rester dans les classiques si on veut pas effrayer nos potentiels collègues, propose Michaël en finissant sa boisson.

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*

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Le lundi, Michaël et Nina se retrouvent au même moment devant la porte du bureau des plaintes de l’Université.

- Ça fait bizarre de revenir ici… souffle Nina.

- Ouais, il y a pas mal de mauvais souvenirs, mais aussi des bons.

- On y va ?

Nina abaisse la poignée de la double-porte, mais celle-ci résiste. Elle sort sa carte d’étudiante et la passe devant le lecteur. Un bip et une lumière rouge lui indiquent que l’entrée est refusée.

- Ils n’ont peut-être pas encore réactivé mon accès. Essaie avec la tienne.

Son et couleur identiques pour Michaël.

- Étrange...

Nina se penche en avant pour regarder à travers la vitre dans l’espace supérieur de la porte en bois. Sur la mezzanine, les longues bibliothèques remplies de livres et de documents occupent tout l’espace et semblent n’avoir jamais subi ni le saccage du mois d’avril, ni la fusillade du mois de mai. L’habituelle couche de poussière a même repris sa place sur le lustre du plafond. Les yeux de Nina descendent l’escalier en colimaçon et s’écarquillent de stupeur au rez-de-chaussée. La pièce est complètement nue. Leurs bureaux ont disparu, le canapé, la table basse et les meubles de rangement ont mis les voiles, et les bibelots de Georgina Rose se sont évaporés.

- C’est vide… commente Nina, sous le choc.

Michaël s’approche pour constater l’étendue du néant.

- Il n’y a même plus de frigo, ni de tapis, ni de rideaux.

- Peut-être que le doyen compte sur nous pour redécorer à notre goût ! s’enthousiasme le jeune homme.

- Alors pourquoi ne pas nous laisser entrer ?

La jeune femme a un mauvais pressentiment et a besoin d’en avoir le cœur net. Elle part d’un pas rapide en direction du bureau de leur nouveau responsable.

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FIN DE LA PARTIE 1

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Défauts et qualités (partie 2)

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Nina déboule comme une furie dans le bureau du doyen Freiss. Elle compte bien obtenir quelques explications au sujet de leur local complètement vide.

Malheureusement, leur nouveau responsable est absent, mais sa secrétaire les interpelle :

- Bonjour, vous devez être les étudiants du BPU ? Monsieur Freiss a laissé cette pile de dossiers pour vous.

- On aurait aimé lui parler directement, répond Nina.

- Il n’est pas là aujourd’hui. Souhaitez-vous lui laisser un message ?

Nina consulte Michaël du regard et celui-ci prend le relais :

- Nous aimerions avoir accès à notre bureau pour commencer les auditions des candidats.

- Oui, bien sûr. Monsieur Freiss m’a également remis les clés.

Michaël saisit le trousseau que lui tend la secrétaire. Quatre clés identiques y pendent.

- Le bureau des plaintes se trouve actuellement au local B316. C’est au premier étage à gauche.

- C’est impossible ! s’exclame Nina. Le bureau des plaintes a toujours été à l’entrée du bâtiment.

La secrétaire hausse les épaules et se remet à taper sur le clavier de son ordinateur. Sans un mot, Nina et Michaël grimpent les escaliers et prennent le couloir gauche. Après quelques détours, ils aboutissent à une porte grise, qui s’ouvre sur une pièce carrée.

- C’est une blague ! s’exaspère Nina.

Ce qui choque tout de suite les deux étudiants, c’est l’unique bureau occupant presque tout l’espace. Nina enclenche l’interrupteur et l’ampoule nue du plafond les éblouit d’une lumière froide, rivalisant facilement avec la petite lucarne opaque sur le mur opposé. Une armoire à tiroirs en métal gris et deux chaises en rotin complètent le mobilier.

- Bienvenue en enfer, raille Michaël.

- Comment est-on censé travailler à quatre là-dedans ?!

Michaël s’installe derrière le bureau :

- On peut s’empiler sur les genoux des uns et des autres.

- Non seulement, les étudiants galèreront à trouver notre « local », mais en plus, personne ne voudra mettre les pieds dans ce trou à rat !

Nina se laisse couler sur une chaise et glisse les dossiers de candidatures devant eux.

- Avec un peu de déco personnelle… peut-être que…

- Bref, coupe la jeune femme. Mettons-nous au travail et on règlera ça dès que Freiss sera de retour.

Au bout d’une heure, Nina et Michaël ont parcouru la trentaine de postulations.

- OK, donc on a éliminé tous les candidats en fin de cursus, explique la jeune femme en montrant une pile. Freiss a été clair sur le fait qu’il souhaitait un ou une étudiante plus jeune que nous.

- Oui, et ici, il y a ceux à qui il manquait un document ou qui ne correspondaient pas au profil. Pourquoi te présenter si tu n’étudies même pas à l’Université ?

Nina inscrit « incomplets/irrecevables » sur un post-it qu’elle place au-dessus du tas.

- Voilà ce qui nous reste.

Une quinzaine de dossiers sont étalés devant eux.

- Je vais les contacter et organiser une journée d’entretiens demain, propose Nina. Tu es libre ?

- Oui, jusqu’à 17 heures.

- Parfait.

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- Quelles sont selon toi les qualités nécessaires pour travailler au bureau des plaintes de l’Université ?

- La communication. J’adore parler avec les gens, même avec des inconnus. Ça m’arrive d’arrêter quelqu’un dans la rue pour lui faire remarquer combien le soleil brille. J’ai un hamster à qui je raconte chaque détail de ma journée. Il est très à l’écoute…

- Tu m’étonnes, marmonne Michaël en tirant un trait sur sa feuille de notes.

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*

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- Comment penses-tu pouvoir aider les étudiants dans leur quotidien ?

- Pendant ma première année, je me trompais tous les matins de salle de cours, je rendais toujours mes devoirs en retard et j’ai failli louper mes examens parce que la date d’inscription était dépassée. Alors je crois que je serais capable de les guider au mieux.

Nina retient difficilement un rictus.

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*

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- Que penses-tu pouvoir apporter au bureau des plaintes de l’Université ?

- Je suis passionné de pâtisseries, je pourrais apporter des muffins pour le goûter.

- Excellente idée, j’adore les muffins ! s’exclame ironiquement Michaël.

Nina laisse tomber son front sur le bureau, tandis que le huitième candidat referme la porte derrière lui.

- J-ren-ple-lu, marmonne-t-elle.

- Quoi ?

Michaël va se poster près de la petite fenêtre pour tenter d’attraper un filet d’air frais, car la chaleur dans la pièce commence à être insupportable.

- Allez, plus qu’une et on a terminé ! dit-il pour remonter le moral de sa collègue. Je passe vite aux toilettes avant. J’ai dû descendre trois litres d’eau aujourd’hui.

Nina s’évente avec une liasse de feuilles. Elle a clairement sous-estimé la tâche que le doyen leur a confiée. Depuis plusieurs heures, Michaël et elle enchainent les questions aux candidats, essaient de démêler les personnalités pour trouver celui ou celle qui conviendra le mieux à l’équipe. Il a fallu gérer les retards, les annulations, le stress, les silences, et tout ça dans un local aussi peu accueillant qu’adapté au travail.

La jeune femme expire un soulagement lorsque la dernière étudiante frappe à la porte :

- Bonjour, je suis bien au bureau des plaintes ?

- Oui, entre.

Nina farfouille dans ses papiers à la recherche du dossier.

- Je me…

- Ça ne te dérange pas si on se tutoie ? suggère Nina.

- Non pas du tout.

- Assieds-toi, ah voilà !

- Est-ce que Michaël est là ?

- Oui, il est juste parti aux toilettes, il nous rejoindra dans une minute. Donc, parle-moi un peu de toi. Si je te demandais ton pire défaut, qu’est-ce que tu répondrais ?

- Mon pire défaut ?

Malgré un léger sentiment de gêne, dont Nina commence à avoir l’habitude, cette candidate lui fait plutôt un bon effet. Elle se tient droite, reste souriante, croise les mains sur ses genoux. C’est la première qui vient habillée en tailleur. Un œil à son dossier indique qu’elle a dix-neuf ans, mais plus Nina la détaille, plus elle lui parait un peu âgée.

- La jalousie.

Nina fronce les sourcils : étonnante réponse. Qui a le mérite d’être honnête.

- Mais je travaille dessus constamment, ajoute la jeune femme, en regardant Nina droit dans les yeux.

- Très bien, euh, je lis ici que tu étudies l’économie…

- Non, pas du tout ! ricane-t-elle.

- Ah bon ? Pourtant c’est marqué dans ta lettre de motivation… Tu es bien Hailey Preston ?

- Non, je m’appelle…

- Maya ! s’étonne Michaël, qui s’essuie les mains sur son short noir. Qu’est-ce que tu fais ici ?

La jeune femme se lève pour embrasser Michaël.

- J’avais rendez-vous au Croc’ pour une grosse commande, alors je me suis dit que je passerai te voir.

- T’aurais dû m’avertir, on en a encore pour quelques minutes avec Nina… Ah au fait, tu as rencontré Nina, ma… collègue ?

Nina saute sur ses pieds, encore plus gênée que tous les candidats réunis :

- Désolée, j’ai cru que tu étais notre dernier entretien…

Elle vérifie sa montre :

- D’ailleurs, étant donné qu’Hailey a dix minutes de retard, je pense qu’on peut s’arrêter là. Si tu veux, Mic, on peut faire le point demain.

- Non, non. Finissons-en aujourd’hui. Maya, je t’appelle ce soir quand je rentre, d’accord ?

Maya a une seconde d’hésitation, puis elle passe ses bras autour du cou de Michaël et dépose un long baiser sur ses lèvres.

- Je… vais aussi passer aux toilettes, s’excuse Nina, qui doit se faire toute petite pour atteindre la porte derrière les amoureux.

À son retour, Maya a quitté la pièce et Michaël a la main plongée dans un paquet de biscuits.

- Bon, après réflexion, mâchouille Michaël, et je pense que tu seras d’accord avec moi, Bachir est notre meilleur candidat.

- Bachir ? Non, personnellement, je choisis Pauline.

Michaël avale son biscuit avec peine :

- Pauline ? C’était laquelle déjà ? Celle qui répondait par monosyllabes ?

- Je vois pas le problème, rétorque Nina.

- Bon, il faut qu’on se décide. Mon service au Croc’ débute dans cinq minutes. On n’a qu’à le jouer aux fléchettes : le gagnant remporte le droit de présenter son candidat à Freiss !

- Plutôt tirer à pile ou face…

- Une partie de billard ?

Nina gémit :

- Je vais dire à Simon de nous retrouver au Croc’. On lui présente nos deux dossiers et on le laisse décider.

- Ça marche ! Mais t’as pas intérêt à jouer la carte familiale. Je veux une compétition en bonne et due forme.

Les deux amis ramassent leurs affaires et quittent enfin le local déprimant.

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*

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Simon rejoint sa sœur attablée au bar. Tous les soirs depuis une semaine, l’endroit est plein à craquer et Simon est obligé de rester debout.

- Comment se passe ta rentrée ? demande Nina.

- Je suis déjà sous l’eau… soupire Simon. Mon horaire est surchargé ce semestre. Heureusement, je peux compter sur Chris pour m’épauler.

- Votre cohabitation est officielle maintenant ?

- Non, j’ai encore pas trouvé le temps de le dire à Mic.

Ce dernier apparait devant eux avec deux chopes en main.

- Tu n’es pas en train de le soudoyer, hein, Nina ?

La jeune femme sort un billet de sa poche et le glisse devant Michaël.

- Je paie juste un verre à mon frère adoré, minaude-t-elle.

- Alors, comment se sont passées vos auditions ? demande Simon.

- J’ai trouvé le candidat par-fait ! clame Michaël. Bachir. Il étudie l’histoire en première année. Il a pas mal de temps libre, qu’il occupe entre sa passion pour le vélo et son engagement dans un refuge pour animaux. Il parle couramment quatre langues, dont le grec ancien.

- Très utile si Platon et Aristote ont besoin de conseils administratifs, raille Nina. Pauline parle également trois langues. Modernes, les langues. Elle est étudiante en biologie, une science bien plus pratique que l’histoire. Elle est en deuxième année et a travaillé plusieurs étés dans un secrétariat.

- Ses réponses préférées sont « oui », « non » et « mmh », surenchérit Michaël.

L’espace de quelques secondes, Simon prend un air pensif :

- Franchement, tous les deux me paraissent valables. Pourquoi vous ne les présentez pas ensemble à monsieur Freiss ?

- C’est vrai qu’on pourrait, réfléchit Nina. Mais si tu devais quand même en choisir un. Si t’étais obligé… Tu prendrais lequel ?

- J’en sais rien !

- On peut toujours les départager aux fléchettes, suggère Michaël.

- Non, laissons le doyen décider.

- OK, mais on ajoute un enjeu… Celui qui perd est de piquet pour toutes les plaintes du mois de septembre.

- Tout le mois ? s’écrie Nina.

- Ouais, pourquoi ? Tu as des doutes sur Pauline ?

- Non, mais disons… les deux prochaines semaines.

Michaël et Nina se serrent la main de façon solennelle et le barman repart à l’assaut des tables du Croc’.

- Ça a l’air de bien aller vous deux ? demande Simon.

Nina pianote sur son téléphone :

- J’ai rencontré sa copine cet après-midi.

- Et ? Plutôt sympa, non ?

- Je ne me suis pas encore fait un avis précis.

- Bon, mais soit pas trop rude avec elle, d’accord ?

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*

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Le lendemain à midi, Michaël et Nina déboulent chez le doyen avec la ferme intention de gagner leur bataille. La secrétaire met tout de suite un premier obstacle :

- Monsieur Freiss est en rendez-vous. Vous pouvez patienter ici.

Les deux amis restent debout en silence, prêts à dégainer leurs arguments dès que la porte s’ouvrira.

- J’ai prévenu les autres candidats qu’ils n’avaient pas été retenus, annonce Nina.

- Merci. Tu aurais pu attendre cet après-midi, comme ça tu l’annonçais à Pauline en même temps, ajoute Michaël, avec un sourire narquois.

- Attends, dit Nina en sortant son smartphone de sa poche. Je cherche comment on dit « désolé t’as pas le job » en grec ancien.

Mais leurs chamailleries sont interrompue par l’ouverture de la porte. Le doyen fait signe à une jeune femme de sortir en premier. Ses cheveux bouclés sont bien rangés derrière ses oreilles et elle est maquillée d’un long trait d’eyeliner noir sur les paupières.

- Ah, monsieur Fassnacht, mademoiselle Dalambert ! Je viens de recevoir Zoé Capt. Très bon choix, je suis persuadé qu’elle est la personne idéale pour compléter votre équipe. Vous avez fait un super boulot, merci beaucoup.

Le doyen s’éloigne pour discuter avec sa secrétaire. Michaël et Nina dévisagent l’étudiante, sans comprendre.

- Je me réjouis de collaborer avec vous, lance-t-elle en rajustant son sac sur l’épaule. On se voit lundi après-midi !

Nina la regarde s’éloigner, la bouche ouverte :

- Qu’est-ce qui vient juste de se passer ?

- Aucune idée.

- Il a bien dit Zoé Capt ? Je me rappelle pas avoir vu ce nom dans les dossiers de candidature.

- Ouais, c’est bizarre… Elle a peut-être postulé directement en personne.

Le doyen est de retour :

- Vous souhaitiez me voir ?

Mais les deux amis n’ont pas encore retrouvé leurs esprits. Ils secouent négligemment la tête et repartent les bras ballants.

- J’aime pas ça du tout, râle Nina. J’ai l’impression de m’être fait avoir.

- Pareil. En tout cas, on vient de trouver qui sera de piquet les deux prochaines semaines.

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FIN DE L’ÉPISODE 1

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