Saison 3 - Épisode 9
Couronnement (partie 1)
En remontant l’aile administrative pour se rendre au bureau des plaintes cet après-midi, Michaël Fassnacht tourne et retourne entre ses doigts le petit carré de papier que quelqu’un a laissé sur sa table dans l’auditoire G754. Il n’y a rien de marqué dessus, à part un logo noir sur fond blanc, qui ressemble à une couronne stylisée. Il ne sait même pas si ça lui est destiné personnellement ou si un étudiant l’a oublié là avant lui…
Le jeune homme passe la double-porte du bureau et salue Nina. Il est censé la relever de ses fonctions dans vingt minutes pour qu’elle puisse aller à son cours. Avec le départ de Zoé, la charge de travail s’est intensifiée ces dernières semaines. Et les examens approchant, les trois collègues n’ont plus une minute de répit.
- Merci d’être venu aussi vite, dit Nina en déposant un baiser sur les lèvres de son copain. J’ai juste le temps d’avaler mon bretzel.
Michaël dépose ses affaires à sa place de travail et part remplir sa gourde dans la kitchenette.
- C’est quoi ça ? entend-il Nina demander.
De retour à son bureau, il voit qu’elle tient le carré de papier entre son pouce et son index.
- Aucune idée, c’était sur ma table en cours. Je trouvais le design sympa, alors je l’ai gardé.
- Mais, c’est le logo qu’on voit partout sur le campus.
- Ah bon ?
Nina acquiesce. Ce n’était pas la première fois qu’elle voyait un truc de ce genre, récemment. Mais elle n’a pas le temps de répondre, car au même instant, Zoé Capt toque discrètement à la porte-fenêtre, laissée ouverte pour accueillir l’air rafraichissant du mois de mai.
- Salut, dit-elle. Désolée de vous déranger, je suis venue récupérer mes affaires.
Michaël l’invite à entrer.
Zoé traverse la pièce sous le regard accusateur de Nina qui n’a pas pardonné à la jeune femme ses mensonges et ses trahisons. Elle chuchote entre ses dents :
- Elle aurait pu passer à la fermeture, quand on n’était pas là…
Michaël lui masse gentiment les omoplates.
- Tu disais quoi à propos du logo ? demande-t-il pour détourner l’attention de sa copine.
Nina se reconcentre sur le bout de papier. :
- J’en ai vu plusieurs, entre les mains des étudiants, par terre, sur le panneau d’affichage.
- Et tu sais à quoi cette couronne correspond ?
- Non
- Probablement de la pub pour un groupe de musique ou un salon de tatouage, conclut Michaël qui froisse le papier et le jette dans la corbeille.
Zoé termine de vider les tiroirs de son poste de travail et n’a pas manqué une miette de l’échange entre Nina et Michaël.
- Il faut le scanner avec ton smartphone, dit-elle haut et fort.
Nina préférerait ignorer la jeune femme, mais Michaël repêche le déchet dans la poubelle et la relance :
- Juste scanner le logo ?
Il lisse le papier avec la paume de sa main.
- Comment tu sais ça ? en profite pour demander Nina, d’un ton suspect.
- J’ai vu des étudiants le faire à l’entrée.
- C’est vrai que t’as des yeux partout… ironise Nina.
Michaël a beau approcher ou reculer l’écran de son téléphone au-dessus du logo, rien ne se produit.
- T’es sûre que ça marche ? questionne-t-il.
Zoé hausse les épaules.
- Bon, je dois filer en cours, déclare Nina. On se voit plus tard ?
Michaël hoche la tête, toujours penché sur son énigme :
- C’est bizarre… murmure-t-il, une fois Nina partie. Il y a internet qui s’ouvre, mais c’est marqué que la page demandée est introuvable.
- Il est peut-être désactivé, suggère Zoé. Je peux essayer avec mon smartphone ?
Michaël accepte, mais la jeune femme n’obtient pas plus de résultat.
Comme un étudiant arrive au bureau des plaintes pour poser une question, Michaël récupère le papier et remercie brièvement Zoé :
- J’ai pas le temps de démêler cette histoire.
- Moi, oui, glisse la jeune femme. Je peux me renseigner et découvrir comment ça fonctionne, si tu veux ?
Michaël hésite. Simon et Nina n’apprécieraient pas, mais ils auraient bien besoin d’un coup de main. Après tout, Zoé ne collaborerait pas à un dépôt de plainte, elle mènerait juste une petite enquête sur un détail qui a attisé la curiosité de l’étudiant.
- D’accord, concède-t-il. Mais sois discrète, OK ? Tu fais plus partie de l’équipe.
- T’inquiète, la discrétion, c’est mon truc, plaisante-t-elle.
*
Simon a travaillé avec des camarades à la bibliothèque et est resté une ou deux heures de plus pour terminer un projet qu’il doit rendre à la fin de la semaine. Il est presque 23h quand il ferme son ordinateur portable et repose ses paupières lourdes.
Maintenant seul dans l’espace travail de la bibliothèque, il entend au loin quelqu’un qui passe l’aspirateur. Il se tourne vers la vitre à côté de laquelle il est assis et fait face à son reflet fatigué. La faute à ses courtes nuits. Mais c’est la dernière ligne droite : encore quelques semaines de travail intensif puis ce sera la fin de ses études. Et les vacances.
Quelques semaines de repos pendant lesquelles il pourra réfléchir au sujet qu’il veut aborder dans son devoir de master. Mais Simon ne se sent pas de poursuivre une carrière universitaire comme Chris. Il veut être dans l’action, aider les gens, faire progresser les choses. Dès lors, il lui faudra trouver un travail. Un vrai. Pas un simple job d’étudiant, comme au bureau des plaintes.
Simon se secoue pour se vider la tête. C’est enivrant et flippant à la fois. S’il continue à trop penser à son avenir, il va de nouveau peiner à trouver le sommeil cette nuit.
Soudain, du mouvement attire son attention dans la cour intérieure de l’Union. Il y a bien quelques étudiants qui boivent un dernier verre du côté du Croc’, mais ce que Simon a perçu était beaucoup plus furtif : deux silhouettes encapuchonnées rasent les murs sous les arcades, évitant les rectangles lumineux des lustres.
Simon tord le cou pour continuer à les suivre. Il ressent une désagréable impression ; quelque chose de louche est en train de se produire. Les capes lui rappellent un vague souvenir de leur première affaire au bureau des plaintes de l’Université. À l’époque, ils avaient démantelé la société d’étudiants Royalty qui régnait avec élitisme et terreur sur le campus. Pour cela, il avait lui-même infiltré les Royals et s’était retrouvé menotté à un radiateur dans une salle de classe. Pas un très bon souvenir…
En une demi-seconde, le jeune homme décide de quitter la bibliothèque et de suivre les deux inconnus. Il ne voudrait pas qu’un nouvel étudiant subisse le bizutage que les Royals avaient l’habitude de mener à l’Université.
À peine sorti dans la cour intérieure qu’il voit les silhouettes disparaitre dans un angle à l’opposé. Normalement les accès sont fermés à cette heure. Simon traverse le carré d’herbe en courant. Il sort son badge d’employé afin de déverrouiller la porte, mais remarque que celle-ci a été bloquée avec un papier plié en quatre pour rester ouverte. Il la pousse et entre dans le corridor.
Malheureusement, les silhouettes ont disparu. À sa droite, l’aile mène à la galerie des portraits. Simon doute que quiconque soit parti de ce côté-là. Il prend donc à gauche, mais arrive rapidement à une intersection : continuer dans le corridor du rez-de-chaussée ou monter dans les étages ? Le jeune homme tend l’oreille, espérant que des bruits de pas l’aident à prendre sa décision. Aucun son ne parvient jusqu’à lui.
D’instinct, il continue son chemin jusqu’au bureau des plaintes, sans croiser personne. Simon commence à se demander s’il n’a pas rêvé. Il est tard. La fatigue lui est peut-être montée à la tête. L’étudiant abandonne et décide de rentrer se coucher.
*
Le lendemain matin, Nina et Simon récupèrent leurs mugs de café latte au comptoir du Croc’ et ressortent immédiatement. Le frère et la sœur se croisent à peine ces jours-ci, alors ils profitent même d’une pause de cinq minutes pour se voir.
Le jeune homme vient de raconter à Nina ce qu’il a vu (ou cru voir) la veille.
- Ils avaient des capes noires et or ? questionne cette dernière, en soufflant sur son mug chaud.
- J’en sais rien, soupire Simon. Je les ai vus de loin, mais on aurait dit qu’ils portaient des capes foncées…
- Et ils étaient juste deux ?
Simon acquiesce, puis raconte que la porte à l’angle nord-est de l’Union avait volontairement été laissée ouverte.
- T’aurais dû monter à l’étage, râle sa sœur.
Ils arrivent à la hauteur du terrain de football ; Simon continue à droite vers le bâtiment d’informatique, Nina prend à gauche pour contourner l’Union.
Ils sont sur le point de se saluer, quand Nina fronce les sourcils et laisse le fil de sa pensée se démêler tout seul :
- Est-ce que tu penses que ça peut avoir un lien avec le logo qu’on voit partout ?
- De quoi tu parles ?
Nina lève les yeux au ciel. Son frère devrait sortir de sa grotte informatique un peu plus souvent. Il est toujours le dernier au courant de ce qui se trame sur le campus.
- T’as pas vu le logo en forme de couronne ?
Elle tire son frère vers les gradins du stade de foot. Sur une rambarde, elle repère facilement un autocollant avec le même symbole que celui du flyer que Michaël avait ramené au bureau des plaintes.
- Jamais vu, commente Simon.
- Ils trainent partout à l’Université depuis quelques semaines. J’y ai pas pensé avant, mais ça ressemble quand même à une couronne royale…
Nina avait insisté sur ce dernier mot, laissant sous-entendre le lien possible avec Royalty.
Cela fait deux ans que la société secrète d’étudiants a disparu, ses membres connus ont été renvoyés, certains anciens, comme le professeur Tavernier, ont également fait les frais des découvertes que les employés du bureau des plaintes avaient dévoilées.
- Tu crois que quelqu’un essaie de relancer l’association ? s’inquiète Simon. Et ils recrutent des membres avec leurs flyers.
- Zoé a dit qu’il fallait scanner le logo avec son smartphone, mais Mic a essayé et ça n’a rien donné.
Simon sort son téléphone et le place face à l’autocollant. L’écran ne réagit pas.
- Royalty avait l’habitude de sélectionner ses membres parmi les étudiants les plus doués, les plus riches, les plus populaires du campus, se souvient Simon. Et uniquement des hommes. Ils ne laisseraient pas trainer des invitations accessibles par tous.
- Peut-être qu’il faut une application particulière pour accéder au contenu du logo.
- Oui, c’est possible. Quand j’aurai le temps, je creuserai cette piste-là. Si ça fonctionne comme un code QR ou avec une appli, il devrait y avoir une trace informatique…
- OK, merci. De mon côté, je regarde avec Mic pour mettre Freiss au courant, dès la semaine prochaine.
Le frère et la sœur se saluent, puis chacun part de son côté.
Nina remarque avec un sourire que les rares nuages de cette journée de mai forment comme une couronne au-dessus du bâtiment principal de l’Université.
FIN DE LA PARTIE 1
Couronnement (partie 2)
Quelques jours plus tard, Michaël Fassnacht sort de la salle de bain, une serviette mouillée à la main. Il la lance sur le comptoir de la cuisine et ouvre le réfrigérateur à la recherche d’un en-cas à se mettre sous la dent. Rien ne le tente. Dans un des placards, il sort une boîte de céréales et plonge la main dedans.
Entre deux mâchouillements croustillants, il se dit qu’il ne devrait pas laisser sa serviette humide trainer ici. Nina ne dirait rien, mais elle le fusillerait sûrement du regard. Depuis que les deux tourtereaux ont emménagé ensemble, Michaël s’applique à tout faire pour que leur cohabitation fonctionne et que Nina se sente comme chez elle dans cette garçonnière.
L’ancienne chambre de Simon a été transformée en bureau, avec deux espaces de travail distincts, que chacun a aménagés et décorés à son goût. Dans les pièces communes, Nina a aussi amené sa touche : des photos artistiques encadrées au mur, un bouquet de fleurs séchées sur la table basse, d’épais livres de psychologie dans la bibliothèque.
Pour l’instant, tout se passe bien, malgré les quelques compromis qu’ils ont dû faire. Par exemple, ne pas ouvrir les rideaux de la chambre quand l’autre dort encore, partager le sofa lorsqu’ils se posent au salon le soir, ne pas oublier la vaisselle sale dans l’évier plus d’une journée.
Michaël repousse ses baskets poussiéreuses sous le meuble de l’entrée au moment où Nina rentre à la maison.
- Hey, je croyais que tu restais travailler au bureau ce soir, l’accueille-t-il.
- Nan, je me suis dit que ce serait plus sympa ici. Je dérange ?
Michaël pose la boite de céréales et plante les mains dans ses poches :
- En fait, j’ai invité quelqu’un à passer… répond-il, gêné.
- OK, pas de problème. La prochaine fois, préviens-moi juste à l’avance.
- C’est que… je crois que… ça va pas te plaire…
- Du moment que ce ne sont pas dix personnes, très bruyantes et complètement maladroites, plaisante Nina.
- Non, non, conteste Michaël, qui regrette son invitation et se dit qu’il aurait mieux fait de donner rendez-vous au Croc’. C’est Zoé.
- Hein ? s’étonne Nina. Pourquoi t’as invité Zoé chez nous ?
- Elle m’a envoyé un message pour annoncer qu’elle avait pu scanner le logo.
La sonnette résonne dans l’entrée où se tiennent toujours Michaël et Nina.
- OK, mais c’était pas une raison pour lui dire de passer ! s’énerve la jeune femme à voix basse.
- On n’en a pas pour long, rétorque Michaël en allant ouvrir la porte.
Zoé entre sous l’œil suspicieux de Nina. Elle lui tend son sac ouvert et accompagne son geste d’une boutade :
- Promis, j’ai pas pris de caméras.
Nina sert les poings et prend sur elle. Si ça permet d’éviter que Royalty revienne sur le devant de la scène, la jeune femme accepte de faire un effort.
- Michaël m’a dit que tu avais réussi à scanner le logo ?
Zoé sort son smartphone de sa poche :
- Oui, je trainais sur le campus cet après-midi et quelqu’un m’a donné un flyer identique à celui de l’autre jour. Sauf que cette fois, il y a ça qui est apparu.
Michaël et Nina se rapprochent pour lire son écran. Une simple courbe interrompue par des petits traits se dessine sur un fond blanc.
- Génial, raille Nina.
- On n’est pas beaucoup plus avancés, soupire Michaël, déçu.
- Vous souhaitez assister à ce qui semble être une exposition d’art figuratif ? Libres à vous. Moi, je retourne au travail.
Nina s’éloigne dans le corridor.
- Désolé. Merci quand même d’être passée, Zoé.
Michaël tient la porte à son ancienne collègue, mais celle-ci semble perdue dans ses réflexions.
- Je crois que c’est un code, dit-elle alors. J’ai déjà vu ça quelque part. Je peux sûrement le déchiffrer.
Le jeune homme hésite et Zoé le remarque. Elle parle assez fort pour que Nina l’entende aussi :
- Je crois que je ne vous l’ai jamais dit, mais je regrette beaucoup ce qui s’est passé avec Hippolyte. Vous avez été sympas avec moi en m’accueillant au bureau, et je vous ai trahis. J’aimerais me rattraper.
- Merci pour tes excuses, répond Michaël. On comprend que ta position n’était pas facile : choisir entre la loyauté envers ton cousin et notre amitié.
Nina réapparait dans le couloir, les bras croisés sur la poitrine. Comme le silence emplit l’appartement, Zoé en profite pour expliquer :
- C’est ce que t’as dit Nina qui m’a fait réfléchir. De l’art non figuratif. J’ai pas suivi beaucoup de cours, mais je m’intéresse pas mal aux tendances artistiques. Tu peux facilement utiliser un dessin pour coder un message.
- Comment ça ? demande Michaël, intrigué.
- Par exemple, tu traces une courbe et tu indiques des points ou des intersections, comme ici. Ensuite, tu appliques une grille de lecture : chaque colonne est une lettre de l’alphabet que tu lis dans le sens descendant de la courbe.
- OK, OK, donc ça donnerait quoi pour ce dessin ?
- Sans la grille de lecture, c’est compliqué…
- Utilise l’écran de ton smartphone, intervient Nina. Divise-le en vingt-six colonnes et regarde ce que ça donne.
Tous trois passent quelques minutes à reporter les traits, puis déchiffrent une série de six lettres :
- XVGCLI ! annonce Zoé, fièrement.
- Ça veut rien dire, râle Nina. On n’a pas dû utiliser la bonne grille de lecture.
Michaël baisse les bras et propose une bière aux filles.
Un code à déchiffrer ? Nina pense tout de suite à Royalty. Ce serait assez le genre à inonder le campus d’énigmes secrètes. Une sorte de pré-sélection des nouveaux membres ; seules les personnes qui arrivent à décoder l’image méritent d’intégrer la société secrète.
Michaël revient avec trois canettes de bière fraiche. Il contemple d’un œil nouveau les six lettres :
- Et si c’était des chiffres ?
- Hein ?
- Si tu voulais coder des chiffres à l’aide de cette grille, tu ferais comment ? relance-t-il.
- Tu utiliserais des chiffres romains ! s’exclame Nina, qui se jette à nouveau sur le code. 15G151 ?
- Mouais, bof. C’est pas une date, ni une heure, ni un numéro de téléphone, ni des coordonnées GPS, ni une adresse internet…
- G151, pointe Nina. Ça pourrait faire référence à une salle de classe.
En effet, sur le campus, on utilisait une lettre pour indiquer le bâtiment, puis trois chiffres pour situer l’étage et l’ordre des salles.
- Et le 15 avant ?
- On est le 14 mai, peut-être que c’est la date de demain… suggère Zoé.
- Ça nous donnerait une date et un lieu, confirme Nina. Ceux d’une séance de Royalty ?
Devant l’air interrogateur de Zoé, Michaël lui raconte dans les grandes lignes leur première affaire au bureau des plaintes.
- Ça ne coûte rien d’aller voir, propose Michaël.
Le rendez-vous est pris. Et cette fois, ils iront en toute connaissance de cause.
*
Le lendemain après-midi, Nina se rend au pigeonnier. C’est le nom que les étudiants qui vivent sur le campus donnent au mur rempli de trous à côté du secrétariat de l’Union. Comme il n’y a pas de boites aux lettres dans les résidences, le courrier est déposé là chaque matin. Nina ayant déménagé, elle vient relever son casier pour la dernière fois. Avec l’ongle et un peu de nostalgie, elle gratte l’étiquette délavée sur laquelle est inscrit son nom.
La jeune femme reçoit très peu de lettres, parfois un petit colis que ses parents lui envoient et qui entre au millimètre près dans le casier. Aujourd’hui, elle y trouve une enveloppe plutôt épaisse, dont elle ignore la provenance. Sa curiosité la pousse à l’ouvrir immédiatement.
Tandis qu’elle marche vers la sortie, ses doigts arrachent le papier et sortent une liasse de feuilles. Elle parcourt rapidement les premières pages, et quand elle comprend de quoi il s’agit, ses bras lui en tombent. Comment va-t-elle expliquer ça à son frère et à Michaël ?
*
Le soir, Nina et Michaël sortent de leur immeuble et marchent d’un pas assuré en direction du campus. Ils ont revêtu des habits noirs, enfilé des chaussures confortables et dissimulé leurs visages sous des casquettes. Un peu plus tôt dans la journée, ils ont repéré où se situe la salle G151. C’est un auditoire assez grand dans l’un des bâtiments récents de l’Université où sont principalement donnés des cours d’économie.
Ne sachant pas à quelle heure le rendez-vous est fixé, ils ont prévu de rejoindre Simon peu avant vingt-trois heures devant le Croc’. C’était à cette heure-là que le jeune homme avait vu les silhouettes s’infiltrer dans l’Union.
De la musique rock s’échappe du pub-lounge lorsqu’ils aperçoivent Simon et Zoé qui les attendent à l’entrée.
- C’est toi qui lui as dit de venir ? interroge Nina à voix basse.
- Oui, répond son copain. Elle nous a quand même bien aidés. Elle méritait d’avoir le fin mot de l’histoire.
Les quatre étudiants s’éloignent un peu du Croc’ pour établir leur stratégie à l’abri des oreilles indiscrètes. Ils se glissent sous l’arche de l’Union. Au-dessus de leur tête, l’unique cloche sonne onze coups.
- OK, on va faire deux équipes, explique Michaël. Nina et moi, on part en repérages d’abord. Simon et Zoé, vous restez en retrait au cas où. Si la voie est libre, on vous fait signe.
De nature peu intrépide, Simon accepte volontiers le plan de son meilleur ami.
Ils se dirigent tous les quatre en silence vers le bâtiment, plongé dans l’obscurité. Simon et Zoé trouvent refuge derrière un banc tandis que Michaël et Nina marchent vers l’entrée, située dans un repli de la façade. Alors qu’ils s’attendent à trouver une cale bloquant la fermeture automatique, la porte est verrouillée.
- On s’est trompés, panique Nina. C’est pas le bon endroit. Ou pas le bon jour. Ou la bonne heure. C’est Zoé qui nous a piégés avec son histoire de code secret artistique.
- Du calme, la rassure Michaël. Il y a peut-être un autre accès plus discret.
Le couple contourne le bâtiment et repère un escalier de secours le long de la façade.
Deux silhouettes sont assises sur les marches du dernier niveau et Nina perçoit l’odeur âcre de la cigarette. Michaël envoie un texto à Simon pour le prévenir qu’ils ont trouvé l’entrée et qu’il y a des gens.
Un mégot faillit leur tomber sur la tête, puis les deux fumeurs disparaissent à l’intérieur. Nina et Michaël gravissent les marches aussi furtivement que possible.
« On entre. Si pas de news d’ici cinq minutes, venez nous chercher. » rédige encore Nina à l’attention de son frère avant de mettre son téléphone en mode silencieux.
La sortie de secours donne sur un corridor, ponctué de portes de classes, et qui débouche sur un puits central avec un escalier desservant les étages. Arrivés dans cet espace ouvert, Nina et Michaël tombent nez à nez avec un garçon. Il porte un chapeau tricolore à cornes et pue l’alcool. Nina plaque Michaël contre le mur et l’enlace langoureusement. L’étudiant ricane grassement en passant à côté d’eux.
- Bien vu, commente Michaël avec un sourire.
À partir de là, ils n’ont qu’à suivre les relents de transpiration et les basses de la musique jusqu’à la salle G151.
Alors qu’ils s’attendent à tomber au beau milieu d’un rituel bizarre de société secrète, ils découvrent une tout autre ambiance dans l’auditoire. L’espace central a été libéré pour qu’un maximum d’étudiants puisent se tenir debout. Sur l’estrade, on a installé des platines et des spots lumineux qui zèbrent le plafond et les murs. Au milieu de tout ça, une cinquantaine de personnes se trémoussent sur de la musique électro, un verre à la main.
- Je crois qu’on a découvert un réseau de fêtes clandestines ! s’enthousiasme Michaël.
Nina pointe le drap tendu derrière le DJ où a été peint à la bombe le logo :
- En fait, c’est pas une couronne, mais un chapeau de fou !
Quelques fêtards sont déguisés, la plupart éméchés, mais l’atmosphère est plutôt bonne enfant. Nina est soulagée de savoir que tout ça n’a rien à voir avec Royalty.
- Bon, on redescend prévenir Simon ? propose-t-elle.
- Et si je lui disais plutôt de monter ? relance Michaël en prenant sa copine par la taille. Et on profite un peu de la fête ?
Nina se laisse entrainer sur la « piste de danse ». Elle a besoin d’un dernier moment d’insouciance avant les examens, la fin de l’année, la décision importante qu’elle doit prendre. Ils devront prévenir la Faculté, mais rien ne presse.
Au bureau des plaintes plus qu’ailleurs, personne ne sait de quoi l’avenir sera fait.
FIN DE L’ÉPISODE 9