Saison 3 - Épisode 7
Sous surveillance (partie 1)
La musique entrainante du Croc’ couvre le bruit ambiant. Simon, Nina et Michaël ont choisi une table stratégique tout au fond du pub-lounge, afin que personne ne puisse entendre leur conversation. Le flipper, à côté duquel ils sont assis, émet quelques bips mélodieux à intervalles réguliers, comme des petits appels à jouer avec lui.
Les trois employés du bureau des plaintes sont si tendus qu’ils n’ont même pas pris la peine de commander à boire. Ils se tiennent penchés sur la table, en vrai conciliabule.
- Alors t’es sûre que Zoé n’étudie pas à l’Université ? relance Simon.
- Certaine. J’ai demandé trois fois à la secrétaire de vérifier.
Après sa découverte, Nina avait immédiatement contacté Simon et Michaël pour une réunion urgente et secrète.
- Elle pourrait être inscrite sous un autre nom ? Par exemple, si ses parents en ont deux différents ou si elle est mariée…
- En tout cas, quand j’ai discuté avec ses camarades de cours, personne n’avait l’air de la connaitre.
Toutefois, Nina n’est pas si surprise que ça. Depuis le début de l’année, elle soupçonne Zoé de ne pas jouer franc jeu. Ses collègues disaient qu’elle se montait la tête, mais au final, elle avait sûrement raison.
- Comment a-t-elle pu obtenir le poste au bureau des plaintes alors ? s’exclame Michaël. La condition primordiale est d’être étudiant !
- Je sais pas… Elle a dû magouiller quelque chose…
Une serveuse s’approche d’eux, un plateau en équilibre sur la taille. Elle sourit exagérément quand Michaël la salue par son prénom : Ashley.
- Tu veux boire quelque chose ? demande-t-elle, sans quitter le jeune homme des yeux.
- Non, non, merci.
Ashley se penche en avant pour essuyer la table. Les marques de verre à bière et les taches de gras ne se laissent pas faire.
- Un truc à manger alors ? relance-t-elle.
- Non, c’est tout bon, coupe Nina, prête à montrer les crocs, si la serveuse insiste encore.
Ashley lève les sourcils :
- OK, tu sais où me trouver si tu as besoin de quoi que ce soit, minaude-t-elle.
Le regard de feu de Nina passe de Ashley qui rebrousse chemin, à Michaël qui s’enfonce dans son siège.
- Mic, tu devrais arrêter de sortir avec tes collègues, c’est gênant, commente Simon.
Michaël s’étrangle en avalant sa salive de travers.
- Bon, on fait quoi concrètement ? relance Simon, quand les toussotements de son ami ont cessé. On convoque Zoé et on la confronte à ce qu’on a découvert ?
- Elle risquerait de mentir à nouveau, assure Nina.
C’est probablement ce qu’elle-même ferait à la place de Zoé.
- Alors on avertit Freiss ?
- Ouais, il faudra bien, renchérit Michaël.
De son côté, Nina n’est pas emballée. Sachant que c’est le doyen lui-même qui a reçu la candidature de Zoé et qu’il a pris la décision de l’embaucher, elle se dit qu’il y a peut-être anguille sous roche :
- J’ai une théorie un peu foireuse… annonce-t-elle.
Les deux garçons l’écoutent :
- Et si Freiss était déjà au courant que Zoé n’étudie pas à l’Université ? Et si, justement, il l’avait engagée pour cette raison ?
- Comme une sorte d’agent infiltré ? chuchote Michaël sur un ton enjoué.
- J’ai l’impression qu’on ne peut avoir confiance qu’en nous trois.
Simon acquiesce, l’air pensif :
- Alors on va faire ce qu’on sait faire de mieux : enquêter. Donnons-nous quelques jours pour fouiller et trouver tout ce qu’on peut sur Zoé Capt. Je m’occupe d’internet. Mic, tu prends les réseaux sociaux. Nina, tout ce qui est officiel : nom, adresse, scolarité, etc.
Solennellement, les trois amis joignent les mains au centre de la table.
*
Quelques jours plus tard, Michaël Fassnacht s’étire et se retourne dans son lit. À ses côtés, Nina dort, la bouche semi-ouverte. Leur relation encore récente n’arrête pas de l’émerveiller. Avec Nina, il n’a pas besoin de se forcer ou de faire semblant. Il peut être lui-même. C’est comme ça qu’ils se sont connus à l’époque et c’est comme ça qu’ils sont tombés amoureux, petit à petit. Et il n’y a rien de plus rassurant.
Michaël referme les yeux, jusqu’à la sonnerie du réveil, qui les tire tous deux de leurs songes. Nina tend le bras pour faire taire son smartphone et Michaël en profite pour l’attirer à lui et l’enlacer :
- Bonjour, bien dormi ?
- Mmmh, marmonne la jeune femme. Et toi ?
Ils restent quelques instants dans cette position agréable, puis décident de se lever.
Assise sur le rebord du lit, Nina grogne quand son téléphone se remet à sonner. Elle croit avoir oublié d’éteindre le réveil, mais c’est en fait un appel. Elle décroche sans réfléchir :
- Allô ? dit-elle d’une voix pâteuse.
- Salut, sister ! Ça va ?
- Simon ? Oui, oui… Désolée, je me réveille à l’instant.
À la mention du prénom de son meilleur ami, Michaël se fige dans la chambre.
- Ah bien, donc tu peux m’ouvrir ? Je suis devant ta porte.
Nina saute sur ses pieds, comme électrifiée :
- Euh… c’est-à-dire que… je suis pas chez moi, bafouille-t-elle en se tapant le front.
Michaël lui fait des grands signes désespérés à l’autre bout de la pièce.
- Bah t’as dormi où ? s’étonne son frère.
- Au bureau ! J’ai travaillé tard hier soir et je me suis écroulée sur le sofa.
Nina prie pour que son mensonge convainque Simon.
- OK, on se retrouve au réfectoire pour le petit-déj’. Je préviens aussi Mic, il faut qu’on fasse le point.
Ils raccrochent et Nina enfile en vitesse ses habits. Le téléphone de Michaël émet un bip. Nina lui annonce le rendez-vous avant qu’il ait pu ouvrir le message de Simon :
- Il faut qu’on se dépêche. Il va débarquer dans cinq minutes.
Mais Michaël lui barre le passage de la sortie et la prend par les épaules :
- Nina, tu crois pas qu’on ferait mieux de tout lui avouer ? Ce petit jeu de cache-cache devient plus compliqué qu’autre chose, non ?
La jeune femme soupire et doit avouer qu’elle n’en peut plus de mentir à son frère et d’ignorer Michaël chaque fois que Simon est avec eux :
- T’as raison. Je vais lui en parler… Reste plus qu’à trouver le bon moment et la bonne manière.
- On n’a qu’à le faire ensemble ? Invitons Simon à l’appart’ un de ces soirs et on lui dit tout.
Nina remercie Michaël et le serre dans ses bras :
- En attendant, faut qu’on file !
Elle dépose un rapide baiser sur ses lèvres et se faufile dans le corridor.
*
Bien que plutôt fréquenté à cette heure de la matinée, le réfectoire de l’Université baigne dans une atmosphère calme. Les étudiants sont avachis devant leur plateau ; en silence autour d’une table, ils finissent gentiment de se réveiller.
Simon et Chris entrent par la double porte automatique et se séparent : Chris se dirige vers le self et Simon cherche sa sœur dans la cafétéria. Nina est en train de s’installer près de la longue baie vitrée.
- T’as bonne mine, sister, lui lance-t-il en l’embrassant sur la joue. T’as bossé toute la nuit ?
Nina opine, tout en plongeant ses lèvres dans un jus d’orange frais.
Chris et Michaël les retrouvent quelques secondes plus tard. Ils déposent au milieu de la table deux plateaux bien fournis en viennoiseries, boissons chaudes, salade de fruit, yaourts et céréales. Les quatre amis piochent dedans selon leurs envies.
- Bon, j’imagine que vous non plus vous n’avez rien trouvé sur Z ? questionne Simon, une fois son croissant englouti.
- Elle a un compte sur les réseaux sociaux, continue Michaël, mais elle poste rien du tout. Elle suit seulement quelques célébrités ou influenceurs connus.
- OK. Et toi, Nina ?
- Je suis retournée voir ma secrétaire préférée. Comme il n’y avait pas de dossier d’étudiante au nom de Z, je lui ai demandé de me sortir tout ce qu’elle avait en lien avec son statut d’employée. Et rien. La secrétaire a pu imprimer une copie de son badge avec sa photo, son nom et son numéro d’employé. Mais c’est tout. Je suis ensuite passée au service financier, mais ils n’ont pas voulu me renseigner. Confidentialité, bla, bla, bla…
- Mince, maugrée Simon. J’ai pas trouvé grand-chose non plus sur le net. Son nom apparait sur un site qui donne des cours de poterie, et on la voit parmi d’autres jeunes sur une photo publiée lors des journées portes-ouvertes de la caserne de pompiers.
- Alors on fait quoi maintenant ? demande Michaël.
Tous trois se creusent la tête, finissant les dernières miettes de leur petit-déjeuner.
- Je me demande quand même ce qu’elle fabrique quand elle dit qu’elle va en cours… soupçonne Simon.
- On pourrait la suivre ?
- C’est une bonne idée, confirme Nina.
- Elle risque de nous repérer tout de suite, conteste son frère.
- Pas si on se déguise ! rétorque Michaël en baissant sa capuche sur son nez. Incognito !
Nina laisse échapper un rire et retire la capuche du visage de Michaël :
- Simon a raison, ça marchera pas longtemps.
Chris, qui avait ouvert son ordinateur devant lui et lisait les news, relève la tête :
- Je peux la filer, moi, propose-t-il.
Il n’avait écouté que d’une oreille la discussion, mais le jeune homme était toujours là pour donner un coup de main.
Simon secoue la tête :
- Non, non, non. Très mauvaise idée.
- Est-ce que Z connait ton visage ? demande Nina.
- On a dû se croiser une ou deux fois, mais on n’a jamais échangé plus qu’un salut…
- Ça pourrait le faire.
- Non, non, non, répète Simon.
- Il faut au moins qu’on essaie ! tente de le convaincre sa sœur.
- Je peux être très discret. La preuve, vous ne pensiez pas que je vous écoutais !
- Qu’est-ce qui peut arriver de pire ? Que Z interpelle Chris et qu’elle lui demande pourquoi il la suit ?
- Je n’aurai qu’à inventer une excuse bidon…
Nina, Michaël et Chris supplient Simon du regard.
- OK, OK… abdique le jeune homme. Mais si tu sens que c’est trop risqué, tu laisses tomber. Je veux pas que Z sache qu’on l’a dans le collimateur.
- Promis, répond Chris, qui serre un bras protecteur autour des épaules de son copain.
Michaël tape discrètement le pied de Nina sous la table et l’enjoint à faire le premier pas.
- Euh, Simon ? bafouille-t-elle. Je me disais… On devrait manger ensemble un de ces prochains soirs. Ça fait longtemps.
- Ouais, bien sûr, sister. Quand tu veux !
- Oh, vous n’avez qu’à venir à l’appart’ tous les trois ! s’exclame faussement Michaël. Comme au bon vieux temps.
- Bonne idée, répond son ancien colocataire. Ça me ferait plaisir de préparer à manger dans notre ancienne cuisine.
Nina propose une date et tous se lèvent pour débarrasser leur table et partir en cours.
*
Le bureau des plaintes de l’Université est désert cet après-midi et Nina Dalambert n’a aucune tâche en cours. Elle opte pour la lecture d’un article de psychologie qu’elle doit résumer, mais son attention dérive vers l’écran de son smartphone toutes les trente secondes.
Cela fait un quart d’heure que Zoé a quitté son poste de travail. Nina, qui assure la relève, a immédiatement prévenu Chris par message. Le jeune homme a stoppé ses révisions à la bibliothèque pour rattraper Zoé qui sortait du bâtiment. Depuis, Nina n’a pas de nouvelles.
Elle se lève pour remettre de l’eau à chauffer dans la bouilloire. La filature de Zoé n’a encore rien donné. Leur enquête avance trop lentement aux yeux de la jeune femme. S’ils ne trouvent rien rapidement, elle sent qu’elle va craquer et mettre Zoé devant le fait accompli.
Nina remue sa cuillère au fond de la tasse, dissolvant distraitement les grains de sucre dans son Earl Grey. Son regard se perd du côté du bureau de sa collègue. Elle est seule aujourd’hui. Zoé vient de partir « en cours ». Peut-être pourrait-elle juste jeter un œil au contenu des tiroirs ?
Elle s’approche du meuble et déplace les documents qui trainent dessus, du bout des doigts, comme s’ils étaient brûlants. Que de la paperasse administrative. Avec la pointe de son pied droit, elle ouvre le dernier tiroir. Son contenu à vue d’œil : un chargeur de téléphone, un vieux T-shirt, un verre sale et un paquet de bonbons entamé.
Nina se penche pour fouiller celui du haut, mais il est fermé à clé. Étrange ? Elle se concentre alors sur celui du milieu. Elle est en train de soulever un livre pour voir ce qui se cache dessous quand son smartphone émet un bip.
La jeune femme pose sa tasse sur le plateau et consulte l’écran. Un message de Chris : « Z allait prendre son bus quand elle a fait demi-tour. Elle revient au bureau. » Nina se fige. Un raclement de gorge parvient depuis le seuil de la porte :
- Qu’est-ce que tu fais ? siffle Zoé, qui rejoint sa place de travail en trois grandes enjambées.
- Je… euh… baragouine Nina, prise au dépourvu. Je cherchais un dossier. Celui de… la semaine passée.
- Dans le tiroir de mon bureau ? ricane sa collègue. Tous les dossiers en cours sont sur le meuble, là-bas.
Nina déglutit et jure dans sa tête ; elle s’est fait prendre la main dans le sac.
- Dis-moi, Nina : pourquoi tu fouilles dans mes affaires ?
Zoé referme le tiroir d’un coup sec et tend sa tasse à Nina. Celle-ci n’a plus le choix :
- Je sais pas. À toi de me dire ?
Zoé lève des sourcils interrogateurs. Apparemment, elle ne se doute de rien.
- Je te fais pas confiance, déclare Nina. Je crois que tu caches quelque chose.
Sa collègue récupère une clé USB sur son bureau et la glisse dans son sac à main, avant de rétorquer :
- Mon petit doigt me dit que je suis pas la seule à cacher des choses ou à avoir des secrets, n’est-ce pas ?
Et elle laisse Nina plantée au milieu du bureau des plaintes.
FIN DE LA PARTIE 1
Sous surveillance (partie 2)
C’est la quatrième fois que Chris prend Zoé en filature après ses heures de travail au bureau des plaintes de l’Université. Petit à petit, il affine sa technique de traque. La première fois, il avait rapidement perdu Zoé de vue. Elle était entrée dans le réfectoire pour manger et s’était mêlée à la foule d’étudiants. Puis, il y avait eu le soir où la jeune femme était allée nager à la piscine du campus. Et hier après-midi, elle avait pris le bus pour faire du lèche-vitrine au centre-ville.
Une chose est sûre : Zoé n’assiste à aucun cours. Pour autant, elle mène une vie quotidienne plutôt banale.
Chris est installé sur la terrasse du Croc’, son ordinateur portable ouvert devant lui. Toutefois, son regard traverse la cour intérieure de l’Union pour observer ce qui se passe derrière les portes vitrées du bureau des plaintes.
Il est un peu plus de 17h quand Zoé éteint les lumières et verrouille le local.
Chris ne perd pas une minute, il ramasse ses affaires et traverse le carré d’herbe. Arrivé dans le corridor de l’aile administrative, il repère Zoé qui dépose un courrier au secrétariat. Il prétend consulter le mur d’affichage près de la porte où des dizaines de flyers se disputent le peu d’espace vide restant. Zoé passe dans son dos et sort de l’Union.
Dehors, le soleil est sur le point de disparaitre derrière les arbres de la forêt. Chris s’assure de laisser assez de distance entre lui et la jeune femme, sans pour autant la quitter des yeux. Il la voit pénétrer dans la supérette du campus. Comme il n’y a qu’une sortie, il décide de l’attendre à l’extérieur. Posté au bord du chemin, il fait semblant de lire son smartphone.
Plusieurs minutes s’écoulent.
Zoé ne ressort toujours pas.
Au bout d’un moment, Chris commence à se demander s’il ne l’a pas laissée s’échapper…
Finalement, il décide d’aller vérifier à l’intérieur du petit magasin. La clochette sonne au-dessus de la porte. L’espace est exigu. Chris navigue entre les rayons surchargés de marchandises qui prennent tout l’espace. Il cherche Zoé du regard et doit se tordre pour croiser les autres clients dans les travées. Il arrive à la caisse sans l’avoir aperçue, mais au même moment la clochette de l’entrée résonne et des cheveux crépus quittent la supérette.
Le plus rapidement possible, il se faufile dehors et faillit lui rentrer dedans.
- Salut ! Chris, c’est ça ?
Zoé le défie, les bras croisés sur la poitrine.
- Euh… ouais, bafouille-t-il, surpris.
- Tu me suis ? lance-t-elle de but en blanc.
- Non, répond-il du tac au tac.
- T’as rien acheté pourtant…
- J’ai pas trouvé ce que je cherchais.
Elle l’observe, méfiante.
- Arrête de chercher, tu trouveras rien.
Zoé lui fait un clin d’œil et continue son chemin. Chris n’ose plus la suivre. Il reste planté là un instant, puis sort son téléphone pour prévenir ses amis.
*
Michaël tend une cannette de bière à Nina et ouvre un paquet de chips paprika.
- Je crois que Zoé est au courant pour nous, déclare Nina en s’installant dans le canapé.
- Comment est-ce que… ? questionne Michaël, la bouche pleine de chips.
- Elle a dû nous surprendre un jour au bureau, sans qu’on s’en rende compte.
- On n’a pas non plus été très discrets, la taquine Michaël. De toute manière, tout sera terminé dans quelques minutes.
- Oui, Simon devrait arriver. Il est déjà 18h46…
- Bon, on lui dit directement ou tu préfères attendre qu’il ait le ventre plein ?
Nina penche la tête en arrière pour boire une gorgée de bière :
- Tout de suite, sinon je ne vais rien réussir à avaler.
- T’inquiète, ça va bien se passer… la rassure Michaël en la prenant dans ses bras.
La jeune femme ne peut s’empêcher de garder un œil sur son smartphone, surveillant chaque minute qui passe et vérifiant qu’aucun texto de son frère n’apparaisse pour annuler leur soirée.
Les deux amoureux ont descendu la moitié de leurs bières quand Simon arrive à l’appartement. Essoufflé, il ne prend le temps d’enlever ni veste, ni chaussures et se plante devant ses collègues :
- Vous n’allez jamais croire ce que Chris a découvert.
Pris au dépourvu par l’entrée du jeune homme, Nina et Michaël se redressent dans le canapé.
- Tu veux t’assoir et boire quelque chose ? propose sa sœur.
- Non, coupe Simon en faisant les cent pas entre la télévision et la table basse. C’est un truc de malade…
- OK, intervient Michaël. Tu peux nous le raconter pendant qu’on prépare à manger ?
- Laisse tomber le repas. Il faut qu’on retourne sur le campus.
Embêtés par la tournure des événements, Nina et Michaël se lancent un regard et décident de remettre la discussion prévue à plus tard. Ils se lèvent et partent vers l’entrée.
- Je croyais que Chris avait arrêté de suivre Zoé depuis qu’elle l’avait pris sur le fait, s’enquiert Michaël.
- Non, il a fait encore mieux !
- Vas-y, raconte-nous, dit Nina, tandis que Michaël et elle se préparent à sortir.
- Donc, comme vous avez pu remarquer, Chris n’est pas très doué pour la filature. Par contre, c’est le meilleur quand il s’agit de technologie. Alors, il a proposé de faire les choses à sa manière. Hier, on a placé un traceur dans le sac de Zoé.
Nina et Michaël ouvrent de grands yeux. L’idée était risquée, mais géniale. Soit Zoé ne remarquait rien et ils pouvaient la suivre en toute discrétion, soit elle mettait la main sur l’appareil, mais sans découvrir qui l’avait mis là.
- Depuis hier, continue Simon, Zoé s’est rendue quatre fois au même endroit…
- Les toilettes ? L’espace fumeur ? Le distributeur de snacks ? s’amuse à deviner Michaël.
Nina le fait taire en lui pinçant les côtes.
- Non, beaucoup plus improbable… Elle a passé près d’une demi-heure dans notre ancien local : la salle B316.
- Quoi ? Mais y a plus rien là-bas, s’étonne Nina.
- C’est justement ce qu’on doit vérifier ce soir…
*
Il est près de 19h30 quand les trois amis pénètrent dans l’Union avec leur badge d’employé. Les derniers cours de la journée sont terminés et la plupart des professeurs ont déjà quitté les lieux. Ils ne croisent qu’un secrétaire et deux personnes du service de nettoyage, qu’ils saluent d’un geste de la tête.
Nina suggère de passer par le bureau des plaintes pour vérifier que Zoé n’est pas dans les parages, mais Simon dégaine son smartphone et en quelques clics localise le sac de la jeune femme :
- Elle est chez elle. On ne risque pas d’être dérangés.
Ils grimpent l’escalier jusqu’au premier étage.
Cela fait depuis le mois d’octobre qu’ils n’ont pas remis les pieds dans cette partie de l’aile administrative. Et ça ne leur a pas manqué. L’endroit est censé être en travaux suite à la mise en scène des quatre employés qui avaient recouvert les murs de moisissures.
- Euh… je crois qu’on a un problème, s’inquiète soudain Nina. On a rendu nos clés, comment tu veux qu’on entre ?
- J’ai pensé à ça, sourit Simon en brandissant un tournevis et une épingle à cheveux.
- Tu veux forcer la serrure ?!
- Non, juste la crocheter. On n’y verra que du feu !
Il s’agenouille devant la porte verrouillée et commence à trafiquer la serrure avec son kit de cambrioleur improvisé. Nina lève les yeux au ciel :
- Ça va jamais marcher, Simon…
- Mais si, fais-moi confiance !
- Sinon, on peut utiliser ma clé que j’ai jamais rendue… suggère Michaël, qui tend dans sa paume le sésame argenté.
Rassurée, Nina pousse son frère sur le côté et introduit la clé dans le trou. Pour une fois, l’insouciance de Michaël est la bienvenue.
Le local est plongé dans l’obscurité, seule une rangée de petites lumières vertes clignote dans le coin. Simon enclenche l’interrupteur. Il remarque tout de suite l’échelle et le pot de peinture sèche près de la fenêtre. Les taches de moisissures ont été recouvertes, mais aucun autre chantier d’assainissement ne semble avoir été entrepris.
Leur attention se tourne à gauche de la porte. Les clignotements proviennent d’un appareil posé sur une simple table, comme on en trouve dans les salles de classe.
- C’est un serveur informatique, constate Simon en s’installant sur la chaise à côté.
- Tu peux y accéder ?
Outré par le manque de confiance de sa sœur, Simon ignore sa remarque et connecte son ordinateur à la machine.
- Pourquoi est-ce que Zoé viendrait ici plusieurs fois par jour ? questionne Michaël dans le vide.
- Pour ça… répond Simon en pointant son portable du doigt.
Nina et Michaël se penchent par-dessus la table pour voir ce que montre Simon, mais ils mettent quelques secondes à analyser ce qu’ils ont sous les yeux.
- Oh mon dieu… gémit Nina.
*
L’écran est partagé en quatre images : trois d’entre elles sont des prises de vue du bureau des plaintes.
- On est sous surveillance ?! s’exclame Michaël.
- Celle-là est placée dans la kitchenette.
- Oui, et celle-ci doit être quelque part au niveau de la mezzanine. Et là, c’est près des baies vitrées dans le coin salon.
La quatrième partie de l’écran en bas à gauche reste noire.
- Qu’est-ce qui se passe avec celle-ci ? demande Nina.
- Je sais pas… réfléchit Simon. Elle a peut-être été désactivée ou le signal ne capte pas l’image.
Michaël se met à tourner en rond dans le local :
- J’arrive pas à y croire.
- Je savais qu’il y avait un truc louche avec cette fille depuis le début, renchérit Nina, en l’accompagnant. Elle nous espionne !
Pendant les secondes qui suivent, ils enchainent les répliques, entre étonnement et agacement, tandis que Simon fouille le serveur.
Soudain, le jeune homme se fige. Encore plus choqué que lorsqu’il a découvert les caméras de surveillance, il lève un visage désespéré vers ses collègues :
- Depuis quand ?
- Sûrement depuis le début de l’année ! rétorque Michaël avec un ricanement.
- Non, depuis quand vous me cachez ?
Simon fait pivoter l’écran dans leur direction. Dans le coin supérieur droit, Michaël et Nina boivent leur café dans la kitchenette. Même sans le son, on voit qu’ils flirtent. Puis, Michaël attire Nina par la taille et ils s’embrassent langoureusement.
Dans le local, les deux amoureux se sont liquéfiés sur place.
- On voulait te le dire, commence Nina. Ce soir. Mais…
- Ça dure depuis longtemps ?
- Quelque temps… Un mois environ…
- Un mois ?! Vous me mentez depuis un mois ?
En retrait, Michaël préfère laisser Nina gérer la colère de son frère.
- On savait pas trop comment te l’annoncer, à vrai dire on savait pas nous-mêmes comment ça allait se passer ! Ça s’est fait comme ça et on regrette…
- Tu plaisantes ? Ça fait deux ans et demi que j’attends ça ! Enfin ! Il vous en aura fallu du temps !
Simon se lève et vient serrer sa sœur et son meilleur ami dans ses bras. Ceux-ci échangent un regard soulagé.
- Alors tu nous en veux pas ? interroge Michaël.
- Bien sûr que si ! Pas parce que vous vous embrassez en cachette, mais parce que vous m’avez mené en bateau pendant un mois. Ça, je vous le pardonne pas.
- On est vraiment désolés, insiste Nina en posant une main sur le bras de son frère. C’était horrible de devoir te cacher ça…
- Mes pauvres… se moque Simon.
- OK, OK, on va se rattraper, propose Michaël. Tu pourras nous demander tout ce que tu voudras pendant un mois. Mais pour l’instant, on a un autre souci à régler : on fait quoi avec ce truc ? On embarque le tout et on l’amène comme preuve à la Faculté ?
- Zoé va s’en rendre compte et elle aura un coup d’avance sur nous, rétorque Nina. J’ai une meilleure idée : on fait des photos et une copie du serveur. Ensuite, on utilise ce qu’on sait à notre avantage…
Michaël sourit à la proposition audacieuse de la jeune femme. Simon, de son côté, est plus frileux quant au coup de poker qu’ils ont à jouer. Toutefois, il se rallie à la majorité. Ils sont allés si loin maintenant qu’ils n’ont plus rien à perdre.
FIN DE L’ÉPISODE 7