Saison 3 - Épisode 6
Révélations (partie 1)
Michaël Fassnacht court à travers le campus, en direction de la résidence Elsa Cameron. Le vent frais de février fouette ses cheveux et lui met les larmes aux yeux. Il monte quatre à quatre les marches de la résidence jusqu’au premier étage, déboule dans le corridor et s’arrête net devant la dernière porte. Il expire longuement pour reprendre son souffle et frappe à la porte :
- Nina, c’est moi, articule-t-il le plus calmement possible. J’ai quelque chose d’important à te dire…
Il n’est que 20h30, Nina doit être dans sa chambre. Michaël aperçoit même un filet de lumière sous la porte. Peu importe qu’elle lui ouvre ou non, il faut qu’il s’exprime. Cela fait trop longtemps qu’il retient ça au fond de lui et il ne peut attendre une minute de plus :
- Nina, je… je suis amoureux de toi.
*
Nina a retrouvé sa chambre d’étudiante depuis plus d’une semaine. Quitter l’appartement avait été plus dur qu’elle n’imaginait, mais réemménager dans un endroit flambant neuf avait adouci sa peine. Les meubles étaient de meilleure qualité, les vitres ne laissaient plus passer les courants d’air et l’eau du robinet avait une bonne pression. Toutes les étudiantes avaient réinvesti l’étage, l’esprit léger.
La jeune femme enfile son pyjama et étale du dentifrice sur sa brosse à dents. Elle compte profiter de sa soirée pour se mettre tôt au lit et rattraper les derniers épisodes de ses séries préférées. Elle lève donc les yeux au plafond lorsqu’on frappe à sa porte. Sûrement une de ses colocataires qui veut lui proposer de sortir. Nina décide de l’ignorer.
Toutefois, c’est la voix de Michaël qui parvient jusqu’à elle. Il a quelque chose d’important à lui dire. Ça ne peut pas attendre demain ?
- Nina, je… je suis amoureux de toi.
À ces mots, Nina manque de recracher son dentifrice.
- Et je suis trop débile pour ne pas m’en être rendu compte plus tôt.
Elle reste d’abord figée au milieu de sa chambre, puis se dirige comme un zombie vers le lavabo pour se rincer la bouche.
- Voilà, je voulais que tu le saches, conclut Michaël.
Nina s’approche de la porte et pose la main sur la poignée.
Elle avait espéré tant de fois que Michaël prononce ces mots. Depuis leur première rencontre, deux ans et demi auparavant, le jour où elle était tombée sous le charme désinvolte du colocataire de son frère. Tellement de choses s’étaient passées ensuite. Ses sentiments pour le jeune homme avaient évolué, de l’attirance à l’amitié en passant par l’amour et la haine. Ces derniers temps, Nina ne savait plus trop dans quelle case les ranger…
Maintenant, seule une porte, seul un geste, les sépare. Elle n’a qu’à bouger un doigt et l’équilibre que son collègue et elle ont enfin réussi à trouver risque de s’écrouler.
- Bon, je vais y aller, chuchote Michaël. Les filles de ton étage commencent à me regarder d’un œil bizarre…
Nina n’a plus le temps de réfléchir, elle doit faire un choix : prétendre qu’elle n’a rien entendu ou se lancer dans l’inconnu. Elle sent Michaël reculer, et soudain, elle sait qu’elle doit le retenir.
Elle ouvre la porte et tombe nez à nez avec le jeune homme. Ses cheveux blonds sont en bataille, ses joues rosies par le froid. Ou la situation. Elle l’attrape par son sweatshirt et l’attire dans sa chambre. Le dos maintenant appuyé contre la porte, elle plonge dans les yeux bleus de son collègue. Ami. Colocataire. Plus que quelques centimètres d’écart entre eux. Nina les élimine en une fraction de secondes et embrasse Michaël.
Quand elle relâche son étreinte, Michaël parait sous le choc.
- Moi aussi, dit-elle simplement.
Il lui répond par un sourire et un nouveau baiser qui les entraine sur le lit.
À peine allongés sur les couvertures que quelqu’un frappe de nouveau à la porte. Nina râle intérieurement et fait signe à Michaël de ne pas faire de bruit.
- Nina ? entend-elle appeler. Je sais que t’es là, j’ai vu la lumière.
- Merde, c’est Simon ! chuchote-t-elle.
Elle fait signe à Michaël de disparaitre, mais la chambre parait minuscule et aucun être humain adulte ne pourrait y trouver une cachette.
Nina pousse Michaël derrière la porte et l’entrouvre :
- Salut sister ! s’exclame Simon.
- Qu’est-ce que tu fais là ?
- J’ai amené des popcorns et du champagne pour fêter ton retour dans la résidence. Je me suis dit qu’on pourrait regarder ensemble le dernier épisode de Lost Island.
L’air enthousiaste de son frère touche Nina. Prise de court, incapable de trouver une excuse crédible, elle s’entend lui répondre mécaniquement :
- Bien sûr !
Michaël agite les bras pour attirer son attention, mais la jeune femme l’ignore :
- Laisse-moi juste me changer. Je te retrouve à la cuisine pour préparer tout ça.
- Super !
Nina rabat la porte sur un visage étonné.
- Désolée… gémit-elle. J’ai pas pu lui dire non.
Michaël éclate de rire.
- Pas de soucis, t’inquiète. On se voit demain au bureau ?
Nina lui fait signe de baisser d’un ton et le pousse en dehors de sa chambre.
- Tu me spoileras pas l’épisode de Lost Island, hein ? se moque-t-il gentiment, avant de déposer un dernier baiser sur les lèvres de Nina.
Son ombre disparait dans les escaliers de la résidence, au moment où Simon sort de la cuisine avec deux verres et un bol de popcorns.
*
Le lendemain, Nina prépare du café dans la kitchenette du bureau des plaintes lorsqu’elle sent une main se poser dans son dos. Elle frissonne sous l’effet du contact de Michaël et la peur que quelqu’un les surprenne. Ils sont à l’abri derrière l’escalier en colimaçon.
- Bien dormi ? questionne-t-elle.
- J’ai fait de beaux rêves, chuchote Michaël.
Nina est un peu désarçonnée. Elle n’est plus très sûre de savoir ce que leur étreinte de la veille signifie. Cela fait tellement longtemps qu’elle n’a pas eu de relation.
Ce qui est certain, c’est qu’elle veut procéder avec des pincettes. Son amitié avec Michaël est en jeu et elle ne souhaite pas que tout parte en fumée pour un baiser. Elle préfère d’ailleurs ne rien raconter à son frère, tant qu’elle ne sait pas ce que les prochains jours leur réservent.
- Ah super ! Je reprendrais volontiers du café, annonce Zoé en s’immisçant entre eux, une tasse à la main.
Tous trois restent silencieux et observent Nina leur servir du liquide fumant.
- Ça va ? demande Zoé.
Nina et Michaël acquiescent sans oser croiser leurs regards.
- Bon, je pars au secrétariat amener un dossier.
À nouveau seuls, Michaël et Nina s’installent à leur bureau.
- J’ai congé demain soir, annonce le jeune homme. Ça te dit qu’on passe la soirée ensemble ?
- Avec plaisir, rougit Nina.
- On peut commander à manger et rester à l’appart’.
- Parfait.
À cet instant, un étudiant franchit le seuil du bureau des plaintes et fonce droit vers Michaël.
- Bonjour, dit-il, avec aplomb. J’aimerais porter plainte.
Il parait tendu et gratte les boutons d’acné qu’il a sur le visage. Michaël l’invite à s’assoir et lui demande le sujet de sa plainte.
- C’est ta collègue, répond-il.
- Nina ?! s’étonne Michaël en se tournant vers la jeune femme.
Celle-ci s’est redressée et détaille l’étudiant. Elle ne l’a jamais vu…
- Ah non, pas elle. Ton autre collègue, corrige le plaintif. Elle s’appelle Zoé, je crois.
- OK, OK…
Michaël rapproche sa chaise de son bureau et prend une feuille et un stylo. Nina est tout ouïe à quelques mètres d’eux.
- Commençons par le début, propose l’employé. Comment t’appelles-tu ?
- Simon Giachinto.
L’étudiant épelle son nom de famille.
- T’es en quelle année ?
- En première, mais j’ai déjà donné toutes ces infos à ta collègue ! Je suis passé ici il y a plus d’un mois pour me plaindre des conditions d’un examen que je devais faire en janvier. Zoé m’a posé les mêmes questions et m’a fait signer un formulaire. Elle a dit qu’elle s’occuperait de tout et qu’elle me recontacterait.
Michaël a lâché son stylo et écoute attentivement les explications de Simon.
- Et puis, rien ! J’ai dû me présenter à l’examen, j’ai échoué et maintenant je ne peux plus suivre les cours du second semestre. Je dois attendre l’année prochaine pour redoubler ma première…
- Ah oui, je vois… commente Michaël.
Lui aussi avait dû redoubler sa première année, mais ce n’était pas à cause d’un seul examen. Il avait préféré faire la fête et des grasses mat’ plutôt que d’aller en cours et de réviser.
- Vous allez faire quelque chose pour moi ? s’inquiète Simon Giachinto.
- Oui bien sûr ! intervient Nina.
Si Zoé avait pris la plainte de l’étudiant, ils devraient être capables de la retrouver quelque part dans le système. Simon Giachinto se lève et pointe un doigt accusateur en direction de Michaël :
- Que vous sachiez… Je ne vous fais pas confiance. Je suis venu par politesse, mais si vous ne faites rien d’ici la fin de la semaine, j’irai voir directement la Faculté.
Michaël déglutit face à la menace. Ce serait le genre de prétexte que le doyen Freiss utiliserait pour décrédibiliser le bureau des plaintes et les mettre tous au chômage.
- Tu peux compter sur Nina et moi, rassure l’employé. On va s’en occuper en priorité.
*
- C’est bizarre cette histoire, commente Michaël, alors que Simon Giachinto quitte les lieux, un peu plus rassuré.
Ce dernier leur avait transmis ses coordonnées et les informations nécessaires à la reprise de son dossier.
- Depuis le début de l’année, on fait une confiance aveugle à Zoé, explique Nina. Peut-être qu’on aurait dû surveiller d’un peu plus près les affaires qu’elle traite toute seule…
- C’est vrai qu’elle nous a rapidement prouvé de quoi elle était capable, mais personne n’est à l’abri de commettre une erreur.
- Qu’est-ce qu’on fait ? On lui en parle ?
- Oui, il y a peut-être une explication logique.
Les deux amis se taisent tandis que la susnommée revient de sa course au secrétariat. Nina et Michaël attendent quelques secondes que Zoé s’installe, puis Nina envoie un regard pressant à Michaël.
- Euh, Zoé ? interpelle le jeune homme. On peut discuter une minute ?
Zoé vient s’appuyer contre son bureau, tout en dégustant un yaourt. Nina les rejoint, juste à temps pour que Michaël la pousse en avant :
- Nina, si tu veux bien.
Cette dernière fusille son collègue de ses yeux noisette et annonce sans se débiner :
- Simon Giachinto est venu nous voir…
- Je suis censée savoir qui c’est ? réplique Zoé, la cuillère dans la bouche.
Nina lui explique comment l’étudiant a porté plainte un mois plus tôt et qu’il accuse maintenant Zoé de ne pas avoir donné suite à sa demande.
- J’ai dû traiter trois ou quatre plaintes similaires début janvier, se justifie leur collègue. Je ne me souviens pas de toutes !
- Mais tu dois sûrement avoir gardé une trace de son passage au bureau ? s’inquiète Nina.
Zoé lâche enfin son yaourt à moitié entamé et fouille son ordinateur, puis son poste de travail à la recherche de la plainte.
- Elle doit forcément être quelque part, marmonne-t-elle.
Dubitatifs, Nina et Michaël l’observent retourner chaque tiroir. Finalement, Zoé crie victoire :
- Je l’ai envoyé par e-mail à Freiss, le 12 janvier à 14h56.
Nina se penche sur l’écran pour constater elle-même :
- Et il t’a répondu ?
- Non, rétorque Zoé après avoir fait une nouvelle recherche.
- Étrange… commente Michaël.
- Il va falloir qu’on voie ça avec le doyen.
- Je m’en occupe, assure Zoé. Ne vous dérangez pas pour ça.
Ses deux collègues n’hésitent pas longtemps :
- Je pense que c’est mieux si on vient avec toi, suggère Nina. Je n’ai qu’à mettre le sujet à l’ordre du jour de notre réunion de mercredi.
Apparemment vexée par la réponse condescendante de Nina ou par sa possible erreur de traitement, Zoé replonge avec hargne dans son yaourt.
FIN DE LA PARTIE 1
Révélations (partie 2)
Le lendemain soir, Nina retrouve Michaël à l’appartement. Ce dernier a pris le temps de ranger le salon et d’aérer la cuisine. Il a troqué son vieux jogging contre un jeans large et un T-shirt propre.
Nina dépose sur la table basse les barquettes de sushis qu’elle est passée prendre au take-away. Elle a tiré ses cheveux en chignon sur sa nuque et porte un col roulé gris perle. C’est leur premier diner romantique à deux et la jeune femme est un peu tendue.
Heureusement, Michaël agit de manière très décontractée. Il ouvre deux bières qu’ils dégustent en picorant leurs sushis et discutent des événements des derniers jours. Nina aurait presque l’impression de passer une soirée entre colocataires, comme c’était le cas il y a encore quelques semaines. Mais les regards qu’ils se lancent et leurs baisers furtifs pendant les silences ne trompent pas.
Michaël est en train de débarrasser la table et Nina de télécharger un film, quand Simon entre sans sonner. Nina plonge derrière le canapé et Michaël se place stratégiquement entre l’entrée et le salon de sorte à bloquer la vue à Simon :
- Tu sais que tu n’habites plus ici, raille-t-il. Il faudrait penser à annoncer quand tu débarques…
- Désolé, mauvaise habitude.
Il aperçoit les bouteilles de bières et le film :
- Je dérange ?
- Non… élude Michaël. J’allais me poser tranquillement.
- Est-ce que tu sais où est ma sœur ? s’inquiète Simon. J’essaie de la joindre depuis tout à l’heure, mais elle ne répond pas. Et elle n’est pas à sa résidence.
Michaël hausse les épaules pour éviter un nouveau mensonge à son meilleur ami.
- Bon si tu la vois… commence à dire Simon en faisant demi-tour, mais il s’interrompt en voyant un smartphone jaune posé sur le meuble dans l’entrée. Attends, c’est pas le téléphone de Nina, ça ?
- Ah tiens, oui. Elle a dû l’oublier ici en passant chercher quelque chose.
Simon le saisit :
- Je vais le lui rendre.
- Non ! réagit Michaël au quart de tour. C’est mieux que tu le laisses là, elle saura où le retrouver.
Son ami soupèse l’argument et décide de faire comme Michaël suggère.
Une fois Simon sorti, Nina émerge de sa cachette, toute transpirante :
- Pfiou, c’était chaud…
- J’ai un message pour toi, raille Michaël en lui tendant son smartphone jaune. Ton frère te cherche.
- Tu penses qu’on devrait lui parler de nous deux… ?
Michaël s’effondre sur le canapé et Nina se blottit à ses côtés. Le jeune homme connait le caractère très protecteur de Simon. Impossible pour lui de prédire la réaction de ce dernier lorsqu’il apprendra que son meilleur ami a une relation avec sa sister chérie. Pour le moment, il préfère attendre de voir la manière dont les choses évoluent.
*
Le doyen Freiss tape énergiquement sur son clavier d’ordinateur, le visage fermé et concentré. Les quatre employés du bureau des plaintes le regardent dans l’expectative.
- Le 12 janvier, vous dites ?
- Oui, répond Zoé. À 14h56.
- Quel nom ?
Pour la troisième fois, Zoé épelle « Giachinto » et tend l’écran de son smartphone devant elle :
- Regardez, il est dans mes messages envoyés.
- Je ne trouve rien ! s’exaspère le doyen.
- Vous permettez ? propose Simon, les doigts au-dessus de l’ordinateur.
Freiss abandonne et lui cède sa place.
En quelques clics, Simon réussit son tour de magie :
- Le voilà. Il était passé dans vos spams et a été effacé automatiquement après un mois. Enfin, presque… il y a toujours une trace quelque part…
- Comment est-ce possible ? s’étonne Freiss.
- Ça arrive parfois, répond Simon, alors que la question était plutôt rhétorique.
L’étudiant retourne à sa place et croise les mains sur ses genoux.
- Bon, je vais voir ce que je peux faire, conclut Freiss. Satanées machines informatiques… Censées nous simplifier la vie, mais au final, on se retrouve avec du boulot en plus.
Nina, Simon et Michaël se font tout petits face à la mauvaise humeur de leur responsable.
- C’est pénible en effet, confirme Zoé, qui quant à elle semble rayonner de savoir qu’elle n’est pas coupable dans cette histoire.
- Mademoiselle Capt, que cela vous serve d’avertissement. Vous êtes responsable du suivi de chaque dossier que vous traitez. Si je ne réponds pas à une demande, votre tâche est aussi de la relancer.
Zoé s’enfonce dans son siège en acquiesçant à mi-voix.
- Bien, j’ai du pain sur la planche. Cette séance est levée. Je vous tiendrai au courant de la décision de la Faculté au sujet de monsieur Giachinto.
Les employés se pressent tous les quatre vers la sortie.
Dans le couloir qui les ramène au bureau des plaintes, Nina ne peut s’empêcher d’ajouter :
- On a eu de la chance que Simon Giachinto soit passé nous voir d’abord et qu’il ne soit pas allé directement à la Faculté. Il aurait pu tous nous faire virer.
Faisant mine d’ignorer sa remarque, Zoé claque les talons sur le parquet et file sous les arcades pour fumer.
- C’était pas nécessaire, sister. Je crois qu’elle s’en veut déjà assez comme ça.
Nina réalise qu’elle n’a en effet pas été tendre avec sa collègue, mais elle préfère laisser passer l’orage avant de s’excuser.
*
Une semaine plus tard, l’auditoire frétille d’impatience. L’heure de cours est terminée, mais le professeur de psychologie de Nina continue de parler. Autour d’elle, la plupart des étudiants rangent leurs affaires et consultent leurs smartphones. Une fille au nez retroussé parsemé de taches de rousseur se tourne vers elle et chuchote :
- On fait une soirée filles ce soir au troisième étage d’Elsa Cameron, tu viens ?
Nina adore ses colocataires de résidence et leurs fêtes sont toujours de chouettes moments d’échanges et de rigolades, mais cette fois, elle est plutôt fière de pouvoir décliner l’offre :
- Je peux pas, j’ai promis à mon copain qu’on sortirait boire un verre ensemble.
Pas au Croc’, bien sûr. Ils avaient opté pour un bar du centre-ville, moins fréquenté par les étudiants. Ce serait la première fois qu’ils s’afficheraient en public tous les deux.
- Ouh… Je savais pas que tu avais un copain ! C’est qui ?
Nina se plonge dans son téléphone pour éviter de devoir répondre à la question. Sur l’écran, un message de son frère s’affiche : « Freiss a obtenu que Giachinto puisse repasser son examen dans des conditions correctes. Je te laisse l’honneur de l’annoncer à Zoé. 😉 »
- Désolée, je dois y aller, s’excuse Nina.
Heureusement, son prof a décidé de mettre fin au supplice de l’auditoire et tout le monde est libéré.
Nina regarde sa montre : elle a dix minutes. Juste le temps de faire un saut dans le bâtiment des arts où Zoé doit avoir cours. Elle pourra lui transmettre la bonne nouvelle de vive voix.
L’étudiante pénètre dans ce qui ressemble à un chalet en bois coincé entre l’Union et le réfectoire. C’est l’ancien atelier d’artiste de John Cameron, le fondateur de l’Université. Il y écrivait et dessinait à ses heures perdues. Considéré comme patrimoine historique, il est passé entre les mailles des différentes périodes de modernisation du campus et a échappé à la destruction. Ses petites salles et son atmosphère inspirante conviennent tout à fait aux rares étudiants qui se destinent à une carrière artistique.
Nina suit les bruits de voix jusqu’à croiser une classe qui attend son professeur. Elle cherche la tignasse bouclée de Zoé, puis décide de se renseigner auprès d’un groupe de filles de première année :
- Salut, est-ce que vous savez où est Zoé Capt ?
- Zoé ? Ça me dit rien…
- Moi non plus… renchérit une autre.
- Les cheveux bruns, bouclés. Elle travaille avec moi au bureau des plaintes.
Les filles secouent la tête, désolées.
- Je suis bien dans le cours d’histoire de l’art, première année ?
- Oui, oui.
Décontenancée, Nina demande encore à deux ou trois autres étudiants, mais personne ne semble connaitre qui elle recherche.
La jeune femme compose le numéro de Zoé sur son téléphone. Elle laisse sonner dans le vide, puis raccroche. En sortant du chalet, Nina reçoit un message de sa collègue : « ?? Peux pas te parler mnt, suis en cours »
Nina ne comprend plus rien. Est-ce que Zoé aurait changé d’orientation sans l’en avertir ? Afin d’en avoir le cœur net, Nina se rend au secrétariat de l’Université, qui est juste à côté. Elle n’en aura pas pour longtemps.
La secrétaire, qu’elle connait bien, l’accueille avec un grand sourire.
- Salut, Nina, comment tu vas ?
- Bien, merci Nathalie. Et toi ?
- Oh débordée, comme toujours… Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?
- J’ai une faveur à te demander… Est-ce que tu pourrais m’envoyer l’horaire de cours de Zoé Capt ?
Nina a l’impression de trahir son camp en se renseignant sur Zoé dans son dos, alors pour éviter les soupçons, elle ajoute :
- Et ceux de Michaël Fassnacht et Simon Dalambert pour ce semestre. Je dois revoir notre planning du bureau des plaintes.
- Bien sûr, répond Nathalie. Je te les envoie tout de suite par e-mail.
Nina la remercie, et alors qu’elle s’apprête à rejoindre son prochain cours, Nathalie l’interpelle :
- Attends Nina ! Je ne trouve pas celui de Zoé.
Nina lui épelle son nom et son prénom, mais le message « aucun résultat » continue de s’afficher sur l’écran de Nathalie. Cette dernière cherche dans la base de données d’inscription, toutefois elle fait chou blanc également.
- C’est étrange. Il n’y a aucune Zoé Capt enregistrée en tant qu’étudiante dans notre Université.
- Est-ce que tu la trouves dans la base de données des employés ?
- Oui, il y a bien une fiche à son nom avec ses coordonnées et tous les documents, mais elle n’a jamais étudié ici…
*
Le téléphone coincé entre l’épaule et l’oreille droite, Zoé allume nerveusement une cigarette. Elle doit s’y prendre à trois fois avant que le mégot rougisse. Elle surveille la cour intérieure de l’Union et le va-et-vient des étudiants pour s’assurer qu’aucun visage connu ne la croise.
À l’autre bout du fil, une voix ferme et brusque la rabroue :
- T’aurais dû être plus discrète. Je t’avais ordonné de faire profil bas…
- Je sais, coupe-t-elle, agacée. J’ai foiré, mais t’inquiète pas, ça remet rien en question.
Le silence est pesant dans son oreille. Elle doit convaincre son interlocuteur qu’il peut toujours compter sur elle.
- Depuis le début, je fais tout ce que tu me demandes. Sans hésiter.
- Et c’est la deuxième fois déjà que je dois te remettre à l’ordre.
- Ça n’arrivera plus. Promis.
- Non, en effet. Car à la seconde même où tu fais un nouveau faux pas, je te dégage.
Le bip lui indique que la conversation téléphonique a été interrompue. Zoé déglutit difficilement. Sa bouche est sèche et pâteuse. Elle n’a plus le droit à l’erreur.
La jeune femme tire nerveusement sur sa cigarette et lance un juron. Soudain, elle aperçoit Nina qui sort de l’aile administrative, la mine déconfite. Zoé fait volte-face et s’abrite dans l’ombre des arcades de l’Union. Il va falloir qu’elle réfléchisse à une stratégie pour réussir sa mission sans se faire démasquer. Surtout face à ses collègues inquisiteurs.
FIN DE L’ÉPISODE 6