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Saison 2 - Épisode 4

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Où est passé l'esprit de Noël ?

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Nina Dalambert fait tourner son stylo entre ses doigts alors qu’elle relit la même phrase pour la troisième fois. Sur son bureau, son ordinateur allumé est recouvert de livres, de brochures et de feuilles de notes. L’étudiante en psychologie doit rendre une présentation écrite le lendemain, mais elle n’en a pas encore rédigé la moitié et son esprit n’arrête pas de s’égarer. Le semestre se termine dans deux semaines, juste avant la pause de Noël, et Nina aimerait aussi prendre de l’avance sur la révision de ses partiels pour pouvoir passer les fêtes tranquillement avec sa famille. Les délais que la jeune fille s’est fixés lui mettent la pression plus qu’autre chose.

Nina retire ses écouteurs et se sert une tasse de thé aux agrumes qu’elle a préparé dans un thermos. Elle ne devrait pas se plaindre de ses petits problèmes d’étudiante, tandis que sa voisine de chambre Kim-Soo est toujours portée disparue. La pauvre ne sera sûrement pas chez elle pour Noël… Et ses proches qui doivent vivre dans l’inquiétude constante. Où est passée Kim-Soo ? Est-elle seulement encore en vie après trois mois d’absence ?

Le thé a soudain un goût amer dans la bouche de Nina. La jeune fille se rassure en pensant qu’elle a fait tout ce qui était en son pouvoir pour la retrouver ; elle a prévenu la police, passé sa chambre au peigne fin, fourni des indices, distribué des tracts de disparition, interrogé tous les étudiants du campus. Elle n’a d’autre choix que de se résigner à patienter qu’un nouvel élément se présente et à se concentrer sur ses études afin de ne pas rater son semestre.

Nina se ressaisit et se penche à nouveau sur son cours d’histoire de la psychologie, mais au moment de renfoncer ses écouteurs dans ses oreilles, un bruit sourd provient du corridor. L’étudiante se fige et tourne légèrement la tête en direction de la porte de sa chambre. Un coup d’œil à sa montre lui indique qu’il est minuit et quart. Il est rare que des gens passent devant chez elle car elle loge à l’extrémité du couloir et que l’unique autre chambre de ce côté-ci est inoccupée : celle de Kim-Soo. Les toilettes, les douches et la cuisine communes se situent à l’opposé, à droite des escaliers.

Avec des gestes précautionneux, Nina se lève et s’approche de la porte : dehors, des nouveaux bruits de pas. Pour Nina, il ne fait aucun doute : Kim-Soo est de retour à la résidence. La jeune femme tourne la poignée frénétiquement, prête à accueillir à bras ouverts sa voisine. Toutefois, elle remarque immédiatement que le couloir est plongé dans le noir. Un frôlement sur sa gauche la fait sursauter :

- Kim-Soo ? bredouille-t-elle.

Mais une ombre glisse le long du mur et se faufile dans les escaliers. Nina a tout juste le temps de percevoir une silhouette dans le rayon de lune qui traverse la lucarne et éclaire le palier. Le souffle court, elle tâtonne à la recherche de l’interrupteur. L’éclair de lumière l’éblouit presque. À part elle, le corridor est désert. Elle le traverse d’une grande enjambée et pénètre dans la chambre de Kim-Soo. Personne là non plus. Pourtant elle aurait juré que la porte avait été verrouillée par la police…

 

*

 

Le bureau des plaintes de l’Université fait pale figure en cette période de fêtes, ce qui n’encourage pas Nina, Simon et Michaël à aller travailler. Dehors, le ciel est si nuageux qu’il faut laisser les lampes allumées du matin au soir à l’intérieur pour y voir quelque chose.

- Et si nous décorions un peu le bureau ? propose Nina le lendemain. On pourrait mettre quelques bougies sur les tables, des branches de sapin à l’entrée…

- Oui, sur la statue-palmier, ça fera tout son effet ! raille son frère Simon.

- C’est un porte-manteau, corrige sèchement Georgina Rose depuis son poste de travail. Ni une statue, ni un palmier de Noël.

- Ou alors un gros saladier avec des boules brillantes en chocolat pour les visiteurs, continue Nina sans relever les remarques cinglantes.

- Il n’en est pas question, la coupe la responsable. Je n’ai jamais supporté toutes ces gamineries de Noël…

En une fraction de seconde, Nina a perdu son enthousiasme.

- Tu m’étonnes, marmonne Michaël assez bas pour ne pas que sa supérieure l’entende. Cet endroit ressemble plus à un hall d’accueil d’hôpital qu’à un service administratif universitaire.

Pourtant, ce sont bien trois étudiantes qui passent la porte du bureau quelques minutes plus tard.

- Asseyez-vous, les accueille Michaël en allant récupérer une chaise supplémentaire devant le bureau de Nina. Que pouvons-nous faire pour vous ?

- Nous souhaiterions porter plainte pour vol, annonce d’emblée une fille au crâne rasé et aux oreilles croulant sous le poids d’une dizaine d’anneaux.

- D’accord. Qu’est-ce qu’on vous a volé ? demande l’employé, qui s’attend aux habituels « smartphone », « laptop », « sac ».

- Des habits.

- De la vaisselle et de la nourriture.

- Des produits d’hygiène.

Michaël fronce les sourcils.

- Attendez… quoi ? s’étonne-t-il.

- Cela fait des semaines que ça dure, explique la fille aux piercings. Des objets banals qui disparaissent dans la résidence.

- L’autre jour, on m’a volé mes lunettes alors que j’étais sous la douche, grogne son amie.

- Vous êtes certaines que ce n’est pas quelqu’un qui vous fait une mauvaise blague ? demande Michaël.

- C’est ce qu’on a cru d’abord, répond la troisième. Mais ensuite toutes les étudiantes de l’étage en ont discuté et on s’est rendu compte qu’on était toutes victimes de ces vols. Personne en particulier n’est épargné.

Ayant suivi l’entretien à distance, Nina se permet d’intervenir :

- Vous vivez à Elsa Cameron, c’est ça ?

- Oui, au premier étage.

Nina savait qu’elle avait déjà croisé ces filles quelque part.

- Il faut contacter Hippolyte, déclare Nina.

Michaël soupire exagérément et ignore sa collègue :

- Et si on commençait par remplir un formulaire de dépôt de plainte. Il faudrait que vous dressiez la liste de tous les objets qui ont disparu…

- Je crois que cette affaire relève de la police, insiste Nina.

- Est-ce que tu pourrais me laisser gérer, Nina ? J’aimerais faire les choses dans l’ordre, exige Michaël d’un ton agacé.

- Hier soir, il y avait un intrus au troisième étage de la résidence, argumente la jeune femme. Je n’ai vu que sa silhouette, mais c’était peut-être le voleur. En tout cas, c’était un homme, ça j’en suis sûre.

- D’accord, on va prévenir les flics, concède Michaël, mais j’aimerais juste terminer avec…

- Pas de soucis, je peux le faire, coupe Nina.

- Mais c’est pas vrai ! s’énerve le jeune homme, haussant la voix. C’est quoi ton problème ?

Georgina Rose vient se placer entre les deux employés :

- C’est fini vous deux. Sortez vous calmer, dit-elle fermement. Monsieur Dalambert, occupez-vous des clientes. Je vais contacter l’inspecteur de Kalbermatten.

Nina et Michaël se défient du regard mais n’osent plus rien ajouter avant d’avoir franchi la porte-fenêtre.

- Mon problème ?! s’exclame alors Nina, qui tente fébrilement d’enfiler ses gants sur ses mains tremblantes.

Michaël sort une boite de sa poche et occupe les siennes à rouler un joint :

- Je dis juste que la Nina d’avant n’aurait jamais sauté sur son téléphone pour appeler la police comme ça. Elle aurait préféré gérer l’affaire toute seule.

- D’avant quoi ? aboie Nina.

Michaël protège la flamme de son briquet avec sa main, tire une bouffée et lâche :

- Laisse tomber.

- C’est ça, rétorque Nina. Et c’est moi qui ai un problème, bien sûr.

La jeune femme traverse la cour intérieure de l’Union vers la bibliothèque. Michaël la suit du regard, puis part dans la direction opposée.

 

*

 

Ce n’est que leur énième dispute ce mois-ci, pense Simon, en voyant son colocataire débouler dans leur appartement et filer droit dans sa chambre, la tête baissée. Si seulement, Michaël et Nina pouvaient discuter de manière franche et sans se lancer des piques, peut-être qu’ils réaliseraient que leurs sentiments ne sont pas si différents que ça après tout.

Simon se lève du canapé et va entrouvrir la fenêtre quelques secondes pour évacuer l’odeur de marijuana que Michaël a encore ramenée avec lui. Ce n’est plus possible, Simon va devoir sérieusement remettre les pendules de son coloc à l’heure. Mais ce n’est pas le moment. Chris va débarquer d’une minute à l’autre.

Le jeune homme referme la fenêtre, tire les rideaux et allume des bougies aux senteurs de cannelle et de clous de girofle. Chris a dit qu’il passerait ce soir pour lui parler de quelque chose, et quand Simon a demandé de quoi il s’agissait, son copain a répondu qu’il préférait aborder le sujet de vive voix. Alors Simon n’est pas rassuré ; plusieurs scenarios dramatiques se construisent dans sa tête. Pourtant, les deux garçons sont en couple depuis plus de trois mois et ils ne cessent de se rapprocher petit à petit.

La sonnette annonce l’arrivée de Chris. Simon boit une gorgée d’eau et va ouvrir.

- Salut, lance Chris avant d’embrasser Simon.

Ses lèvres sont froides et ses cheveux perlés de neige.

- Entre, dit Simon. Je vais préparer du vin chaud.

- Merci, ça caille dehors.

Chris retire son manteau et son écharpe qu’il suspend au porte-manteau.

- Michaël n’est pas là ? demande-t-il.

- Si, si, il boude dans sa chambre, répond Simon depuis la cuisine.

Les deux garçons s’installent dans le canapé avec leurs tasses brûlantes.

- Alors, de quoi tu voulais qu’on discute ? demande Simon, impatient et stressé en même temps.

- Du réveillon, répond Chris en soufflant sur le vin chaud.

Simon a envie de lui arracher la boisson des mains pour le forcer à parler plus rapidement.

- Je voulais t’inviter à passer Noël avec moi, lâche-t-il enfin.

Le jeune homme décoche un sourire soulagé.

- Dans ta chambre ? Je pense qu’on aurait plus de place ici…

- Non, pas sur le campus ! interrompt Chris. Chez ma famille.

Le cœur de Simon qui a commencé à retrouver un rythme normal s’emballe à nouveau.

- Avec tes parents ?

- Et mes grands-parents, mon oncle et mes tantes. Chaque année on se retrouve tous pour le réveillon.

Simon n’arrive pas à réfléchir calmement. Il craint que de grosses auréoles de sueur apparaissent sous ses aisselles.

- Après, je comprends si tu préfères rester avec tes proches, souligne Chris.

- Non… On n’est pas tant attachés que ça à fêter Noël.

Face à l’absence de réponse de Simon, Chris se sent obligé de préciser :

- Tu trouves peut-être que c’est un peu tôt pour…

- Non ! coupe Simon. Je trouve que c’est une bonne idée…

- C’est vrai ?

- Oui, ça me ferait très plaisir de rencontrer ta famille.

- Waouh, s’étonne Chris. Pendant un instant, j’ai cru que je t’avais fait flipper et que t’allais partir en courant de ton propre appartement.

- Pendant un instant, j’y ai cru aussi, plaisante Simon.

La bouffée de stress qui l’a envahi redescend un peu. Leur relation prend soudain une tournure sacrément sérieuse, mais Simon se sent bien. La vie aux côtés de Chris est simple et agréable. Les deux garçons trinquent et passent le reste de la soirée à jouer à des jeux vidéo.

 

*

 

Deux jours plus tard, Simon et Nina poussent la porte du Croc’ au son des clochettes et se frottent les mains. Ce matin-là, le beau temps est revenu mais les températures restent glaciales. Le pub-lounge offre donc un asile réconfortant aux étudiants.

Nina s’installe à une table libre près de la fenêtre et sort son ordinateur portable.

- J’ai cours dans vingt minutes, alors je ne reste pas, l’informe son frère. Tu veux quoi ?

- Un gingerbread latte avec du cacao en poudre sur le dessus. Et un bagel !

Simon part passer la commande au bar.

Il revient quelques secondes plus tard, un plateau en main, et se pose en face de sa sœur, sans enlever son manteau.

- Je vais passer Noël avec Chris et sa famille, annonce-t-il, sans préambule.

- Oh, waouh ! réagit Nina. C’est chouette. Hein ?

- Oui, oui ! C’est cool. Enfin… c’est juste que c’est une première pour moi. J’espère que ce ne sera pas trop… bizarre.

Nina regarde son frère rougir légèrement et cacher sa gêne en buvant son café du bout des lèvres.

- Je suis sûre que ça va bien se passer, rassure-t-elle. Ils vont t’adorer.

- Tu penses ?

- Crois-moi. Je dois être la seule personne sur Terre à pouvoir te trouver insupportable de temps à autre.

Simon se penche en avant pour claquer une bise sur la joue de sa sœur.

- Merci, sister.

- Du coup, tu ramènes Chris au Mont Rouge pour Nouvel-An ? lance-t-elle, sur un ton taquin.

- Ouais, disons dans trois ou quatre ans ? rétorque Simon en s’éclipsant du Croc’, avant que sa sœur ne puisse en rajouter une couche.

Nina secoue la tête.

Chaque année, c’est la même bataille pour motiver son frère à venir passer les fêtes dans le chalet familial au Mont Rouge. La relation entre Simon et ses parents est un peu distante depuis que le jeune homme a commencé ses études universitaires et Nina sait qu’il n’est pas près de leur présenter Chris. Au moins, maintenant elle accepte le fait que son frère ait besoin de distance et n’insiste plus trop.

Deux étudiantes entrent dans le Croc’ et Nina reconnait tout de suite le crâne rasé de la fille, qui était venue porter plainte pour vol au bureau. Elle décide d’aller à sa rencontre.

- Salut, je m’appelle Nina. On s’est croisées l’autre jour, je travaille au bureau des plaintes.

- Ah oui, hello ! Moi c’est Teresa. Tu loges aussi à Elsa Cameron, c’est ça ?

- Ouais, je suis en deuxième année de psycho. C’est dingue cette histoire quand même. Tu sais si la police va intervenir ?

- La police !? s’exclame Teresa. La police a dit qu’elle ne pouvait pas faire grand-chose pour nous ! Les objets volés n’ont aucune valeur et ne seront probablement jamais retrouvés ! Cet inspecteur en charge de l’affaire n’a même pas pris de notes lors de notre entretien. Si tu veux mon avis, il nous a déjà oubliées.

- Non, sûrement pas, répond Nina. Je le connais bien, il est très consciencieux et…

- Il a proposé d’installer un système de caméras surveillances à la résidence ! Quelle bonne blague ! C’est un prétexte de l’Université pour garder un œil sur les étudiants partout et tout le temps. Avec les filles de l’étage, on s’est tout de suite opposées à ça. On n’est pas dans un État policier, si ?

Nina doit reconnaitre que Teresa n’a pas tort. L’idée est un peu forte ; on ne met pas une résidence entière sous vidéo surveillance pour quelques petits vols sans valeur.

- Du coup, on a pensé à une alternative, continue Teresa. Et pour ça, on risque d’avoir besoin de ton aide.

 

*

 

Les cheveux enroulés dans un linge au-dessus de sa tête, Nina sort de la douche et traverse le couloir pour rejoindre sa chambre. À la hauteur de la cage d’escalier, elle croise une fille de première année qui patrouille avec une lampe torche.

- Ça va Jane ? demande Nina.

- Ouais, c’est tranquille ce soir.

- Cool. Tu finis à quelle heure ?

- À minuit. Et toi, tu commences quand ?

- À quatre heures demain matin.

Les étudiantes de la résidence s’étaient rapidement organisées pour effectuer des rondes de surveillance. Par équipes de deux, elles patrouillaient autour du bâtiment et dans les étages chaque nuit de dix-huit à huit heures, moments auxquels les vols avaient dû être commis. Elles avaient établi qu’en faisant un tournus toutes les deux heures, elles étaient suffisamment nombreuses pour ne faire qu’une ronde tous les quatre jours.

- Profite de te reposer alors, conseille Jane.

- Merci, répond Nina.

Tandis qu’elle s’éloigne, un grésillement de talkie-walkie avertit Jane que son binôme a repéré quelque chose.

- Jane ? Tu m’entends ?

- Oui, qu’est-ce qu’il y a ?

- Je suis à l’angle nord et j’ai vu un mec entrer par la porte principale. Tu peux l’intercepter s’il monte ? J’arrive !

Jane dévale les escaliers, suivie de Nina, qui ne peut retourner sereinement dans sa chambre sachant que le voleur est peut-être de retour à Elsa Cameron.

Dans le hall d’entrée, Teresa est arrivée la première et tient un garçon plaqué contre le mur grâce à une astucieuse clé de bras.

- Qu’est-ce que tu fais ici ? interroge-t-elle sévèrement en maintenant une pression constante dans le dos du jeune homme.

- Jesuvni… vahr… namie, balbutie-t-il, la joue gauche écrasée contre la paroi.

- Michaël ?! s’écrie alors Nina qui reconnait la mèche blonde de son collègue sous la capuche de sa veste.

- Tu sais qui c’est ? demande Teresa avant de relâcher sa prise.

- Oui, il travaille avec moi.

Michaël se masse la nuque et la mâchoire, puis jette un regard noir à Teresa :

- C’est moi qui t’ai accueillie au bureau des plaintes.

- Ah désolée, bafouille Teresa. Je t’ai pas reconnu. Tu sais, on est sur nos gardes avec ces vols…

Le jeune homme marmonne.

- Mic, qu’est-ce que tu fais là ? questionne Nina.

- J’étais venu te rendre ce bouquin que je t’ai emprunté le mois passé, dit-il en sortant un livre de psychologie de sa veste.

Nina le remercie.

- Et je voulais m’excuser aussi, ajoute Michaël. Pour ce que j’ai dit l’autre jour. C’était pas cool.

Teresa et Jane restent plantées de chaque côté de Nina, comme des gardes du corps, prêtes à dégainer leurs lampes torches et leurs clés de bras.

- Je m’excuse aussi pour mon comportement, lâche Nina.

Michaël hoche lentement la tête et attend la suite. Mais ni l’un ni l’autre ne sait quoi ajouter. Les deux collègues piétinent sur place pendant quelques longues secondes silencieuses, puis finalement Michaël disparait dans l’obscurité du campus, tandis que Nina expire d’impuissance :

- Merci beaucoup d’être passé.

 

*

 

Il n’y avait plus eu d’incident à la résidence Elsa Cameron pendant dix jours et la plupart des étudiantes rentreraient dans leurs familles à la fin de la semaine pour les vacances de Noël. Toutefois, elles avaient prévu de maintenir leurs veilles jusqu’à la fin du semestre.

Il est vingt heures et Nina s’habille chaudement pour prendre son tour de garde. Elle enfile un bonnet de laine sur ses oreilles et sort de sa chambre. À la base, elle n’avait pas prévu de patrouiller ce soir. Un peu plus tôt, elle avait appelé Hippolyte pour lui proposer d’aller au cinéma, mais l’inspecteur avait décliné l’offre et expliqué qu’il avait du travail à finir avant les fêtes. Alors quand une fille lui avait demandé si elle était libre pour la remplacer cette nuit, Nina avait accepté. La tranche vingt heures – vingt-deux heures est celle qu’elle préfère ; elle a eu le temps de manger un bol de soupe instantanée aux asperges et sera au lit avant vingt-trois heures.

Elle retrouve sa partenaire dans le hall d’entrée. Ce soir-là, c’est Jane qui l’accompagne. Les deux filles s’équipent de talkies-walkies et de lampes torches, puis se répartissent le terrain.

- Tu commences par l’extérieur, propose Jane. Moi je patrouille dans les étages. On échangera dans une heure.

Nina acquiesce et, après avoir testé la communication par talkie, descend les marches de la résidence.

Elsa Cameron se trouve plutôt au centre du campus, à quelques encâblures de l’Union dont les tourelles éclairées par des spots dominent la nuit. Plusieurs chemins de gravier partent dans des directions différentes, telles des veines reliant les organes vitaux de l’Université et permettant aux étudiants, véritables globules rouges de ce système sanguin, de circuler de l’un à l’autre sans encombre. Il est encore tôt et Nina croise plusieurs personnes qui sortent des salles de cours et qui se rendent à la bibliothèque ou au réfectoire. De légers flocons de neige virevoltent dans l’air et fondent avant de toucher le sol.

Nina contourne le bâtiment et se fige. À une cinquantaine de mètres devant elle, l’inspecteur Hippolyte de Kalbermatten se tient dans la lumière d’un réverbère, les mains dans les poches de son manteau. Nina est d’abord surprise de l’apercevoir là, puis se dit que sa présence est sûrement professionnelle. Toutefois, il aurait pu lui dire qu’il travaillait sur le campus aujourd’hui et elle serait passée lui dire bonsoir. Le premier réflexe de la jeune femme est d’appeler son nom et de s’élancer vers lui. Mais quelque chose la retient. De Kalbermatten n’a pas l’air d’être de service, on dirait plutôt qu’il attend quelqu’un. C’est là que Nina la repère. Ses talons claquent sur le trottoir, ses cheveux blonds et raides flottent au vent. Nina se dit que c’est un hasard, qu’elle va dépasser Hippolyte et continuer sa route. Mais non. Georgina Rose s’arrête à hauteur de l’inspecteur et dépose un baiser sur la joue de celui-ci. Un baiser un peu trop long pour être amical, selon Nina. Ils échangent quelques mots que l’étudiante est trop loin pour saisir, puis de Kalbermatten tend son bras à la responsable. Bouche bée, Nina les regarde quitter le campus, serrés l’un contre l’autre.

Cependant, la jeune femme n’a pas le temps de traiter ces informations nouvelles et déconcertantes car une voix l’appelle sur la gauche. C’est Simon qui arrive à sa hauteur, le nez tout rouge. Sans le faire exprès, Nina braque sa lampe torche dans les yeux de son frère.

- Je viens en paix, clame-t-il, une main devant les yeux.

- Ah désolée, répond Nina en éteignant la lumière.

- Tout se passe bien ?

- Euh… ouais… Rien à signaler, baragouine-t-elle, encore un peu sidérée par la scène à laquelle elle vient d’assister.

- Je passais juste te dire au revoir, explique Simon. Je ne travaille pas demain et j’ai pas cours vendredi, donc Chris et moi allons partir plutôt.

- Ça marche.

- Si tu veux squatter l’appart pendant que je suis absent, n’hésite pas.

- C’est gentil. À ce propos, je voulais te demander… Tu sais si Michaël a des projets pour les fêtes ?

Ces derniers jours, Nina avait plusieurs fois voulu poser la question directement à son collègue, mais sans oser prendre les devants. Il faut dire qu’après l’épisode du Grinch l’année précédente, où Michaël avait été jusqu’à profaner la statue des Cameron pour éviter d’être tout seul à Noël, elle craignait de déclencher une nouvelle gêne chez son ami.

- Il m’a dit qu’il passerait le réveillon chez sa tante et qu’il rentrerait à l’appart’ ensuite.

- D’accord, acquiesce Nina. Ça lui fera du bien…

Simon ouvre la bouche pour ajouter quelque chose, mais le talkie-walkie de Nina lui coupe la parole :

- Nina ? entendent-ils chuchoter dans l’appareil. Je crois qu’il y a quelqu’un…

- Jane ? Qu’est-ce qui se passe ?

- J’ai trouvé une fenêtre ouverte au rez-de-chaussée… J’entends du bruit…

- Jane, attends-moi. J’arrive !

Nina et Simon partent en courant vers l’entrée d’Elsa Cameron.

- Nina, dépêche-toi, supplie Jane.

- T’es où ?

- Au troisième étage… Les lumières sont éteintes…

Le frère et la sœur montent les marches quatre à quatre.

- Hé ! s’écrie Jane au-dessus de leurs têtes. Qu’est-ce que tu fais ? À l’aide ! Nina !!

À leur arrivée sur le palier du troisième étage, Nina et Simon se font bousculer par une masse humaine qui s’enfuit dans l’escalier.

- Rattrape-le ! crie Jane, déboulant à sa suite.

Nina se lance à la poursuite de l’intrus qui trébuche sur une marche et s’effondre de tout son long, un étage plus bas. Simon le plaque au sol tandis que Nina et Jane bloquent les issues. Le garçon se met à gémir :

- Laissez-moi partir, j’ai rien fait !

Ses cheveux mi-longs lui tombent dans les yeux et il peine à reprendre son souffle.

- T’es qui ? interroge Nina.

- Personne ! Je suis personne !

- Et qu’est-ce que « personne » fait ici à cette heure-là ? raille la jeune femme.

Le bruit a tiré plusieurs étudiantes de leurs chambres et elles sont une demi-douzaine à observer l’interrogatoire improvisé.

- Est-ce que quelqu’un le connait ? demande Nina à l’assemblée.

Toutes secouent la tête.

- Je l’ai trouvé au fond du corridor, explique Jane. Il s’est tout de suite enfui quand je l’ai interpellé.

- Plutôt suspect… susurre Simon à l’oreille du garçon, qui a arrêté de se débattre.

- J’ai rien volé ! se défend celui-ci.

- Mais personne ne t’accuse de quoi que ce soit, rétorque Nina.

- Pour l’instant… ajoute Jane.

- Surveillez-le, je vais prévenir la police.

- On n’a pas besoin de la police, intervient alors Teresa qui a rejoint le petit groupe et semble vouloir prendre les rênes de l’affaire.

Elle se place face à l’intrus. Nina l’ignore et sort son téléphone portable.

- On va le fouiller, déclare Teresa.

- On a le droit de faire ça ? s’inquiète Jane.

- Non ! s’exclame le garçon. Vous avez pas le droit ! Appelle la police ! Je vais porter plainte contre vous !

Simon se retire du cercle ; les étudiantes ont l’air de gérer la situation. Il retrouve sa sœur qui s’est mise à l’écart pour téléphoner.

- On nous envoie une patrouille, explique-t-elle.

- Tu n’as pas contacté de Kalbermatten ?

- Non, je crois qu’il est occupé ce soir…

À côté, l’intrus refuse toujours de dire son nom et la raison pour laquelle il se trouve à Elsa Cameron ce mercredi soir.

Teresa et Jane sont en train d’argumenter sur la procédure à adopter lorsque deux policiers en uniforme arrivent à la résidence. Tout de suite, l’ambiance change et le garçon interpellé fait beaucoup moins le malin face aux forces de l’ordre. La plupart des filles sont renvoyées dans leurs chambres et ne restent que Nina, Simon, Jane et Teresa, qui a bien fait comprendre qu’elle ne reculerait pas.

Au bout de plusieurs minutes de négociation, le garçon cède et donne son identité :

- Je m’appelle Stew.

- Ok, Stew. Maintenant, explique-nous ce que tu fais ici et on n’aura pas de raison de t’emmener au poste, explique l’un des agents.

- Fais chier, jure Stew. J’ai rien à voir avec ces histoires de vol !

- D’accord. On te croit, Stew. Mais tu n’es pas entré dans la résidence par hasard non plus.

- C’est un type qui m’a demandé une faveur, lâche-t-il alors.

- Quelle faveur ?

- Il voulait récupérer un truc qu’il avait oublié dans la chambre de son ex… Et comme il avait peur de la croiser, il m’a envoyé à sa place.

- C’est qui ce type ?

- J’en sais rien moi ! s’écrie Stew. Je le connais pas !

- Un type que tu connais pas te demande une faveur et tu le fais ? s’étonne faussement Teresa. Si j’avais su, je t’aurais demandé ta carte de crédit…

Stew envoie son majeur en l’air à l’attention de la jeune femme.

- Ok, ok, calme l’agent. Qu’est-ce qu’il t’a dit de récupérer ?

- Un passeport.

- Bon, ce sera facile de connaitre l’identité de ce type, commente son collègue.

- Quelle chambre ? interroge le policier.

- Trente-trois.

Un frisson parcourt l’échine de Nina qui envoie un regard d’alerte à son frère.

- C’est la chambre de Kim-Soo, glapit-elle. L’étudiante qui a disparu depuis septembre.

Les deux agents se dévisagent, puis l’un s’éloigne pour passer un message dans sa radio. Nina profite de la distraction pour empoigner Stew et siffle entre ses dents :

- Le type, comment il était ?

- Je sais plus ! pleurniche le jeune homme. Il faisait nuit, je l’ai pas bien vu…

L’agent écarte Nina et déclare :

- Bon, Stew, on va être obligés de t’emmener au poste finalement. Il faut qu’on mette ta déposition par écrit.

- Non, s’il vous plait, supplie-t-il. Je peux d’abord passer à ma chambre ? Appeler mes parents ?

- T’inquiète pas, on ne va pas te mettre en prison, plaisante à moitié le policier. On va simplement discuter avec l’inspecteur.

Mais Stew, complètement paniqué, recule dans la résidence.

- Allez, suis-nous gentiment. Tout va bien se passer.

Il finit par abdiquer et suivre les agents. Nina remarque toutefois qu’il a volontairement fait tomber un petit objet de sa poche qu’il a ensuite glissé du bout du pied sous la desserte qui occupe le hall d’entrée. Elle attend que Stew soit embarqué dans la voiture de police pour se mettre à genoux et tâtonner sous le meuble.

- Qu’est-ce que tu fais ? interroge son frère.

- Stew a planqué quelque chose là-dessous.

Elle en ressort un petit sachet transparent contenant dix minuscules pilules bleutées.

- C’est quoi ? Des médicaments ? demande Simon.

- Je sais pas…

- C’est de l’ecstasy, constate Teresa.

- Comment tu le sais ? interroge Nina, le ton suspect.

- Hé ! Me regarde pas comme ça ! s’offusque l’étudiante. Je suis pas une droguée ! J’en ai déjà vu sur le campus. Ça circule pas mal dans les fêtes.

- Ça explique tout, conclut Simon. Il ne voulait pas que la police le trouve en possession de stupéfiants.

- Oui, sûrement.

- Mais personne ne se balade avec une aussi grosse dose sur soi, commente encore Teresa. Je dis ça, je dis rien !

Sur ce, Teresa préfère retourner dans sa chambre, mouvement suivi par Jane.

- Il venait peut-être de se la procurer, soupçonne Nina. Peut-être même que c’était son paiement pour venir chercher le passeport dans les affaires de Kim-Soo.

- Le commanditaire serait un dealer ?

- J’en sais rien…

- Qu’est-ce qu’on fait avec ça en attendant ? s’inquiète Simon en montrant les pilules.

- Je vais écrire à Hippolyte pour lui raconter tout ça.

Simon la regarde, présumant que sa sœur va sortir son téléphone portable, mais celle-ci ne bouge pas.

- Demain. Je ferai ça demain.

- Nina, tout va bien ? Si tu veux, je peux m’en occuper.

- Non, non. Ne t’en fais pas.

Simon prend sa sœur dans ses bras et se sent d’ajouter :

- Appelle-moi si besoin.

- Bonne nuit, Simon.

- Joyeux Noël, sister.

Nina observe son frère s’éloigner, mais ses pensées sont ailleurs. C’est la première fois depuis longtemps que l’idée de fêter le réveillon ne l’enchante guère : Simon ne sera pas à ses côtés, Michaël et elles sont en froid et ce n’est pas sur Hippolyte qu’elle va pouvoir compter pour lui remonter le moral. Soudain, à la veille des vacances de Noël, Nina se sent très seule.

Un grésillement sort de la poche de son manteau. Nina avait complètement oublié le talkie-walkie :

- Nina ? chuchote Jane à l’autre bout. Urgence à la chambre 21 : amène autant de nourriture et de boissons que tu peux !

Des rires étouffés et de la musique filtrent à travers l’appareil et redonnent du baume au cœur à la jeune fille qui grimpe les escaliers jusqu’au deuxième étage.

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