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Saison 2 - Épisode 8

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De l'importance de communiquer

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L’épicerie du campus est sur le point de fermer ; il faut qu’elle se dépêche. L’étudiant qui tient la caisse montre des signes d’agacement depuis qu’elle a passé la porte. Nina Dalambert parcourt les étalages à la recherche de l’essentiel. Ici, on ne trouve presque pas de produits frais, surtout des sucreries, des paquets de pâtes, des boites de conserves, des surgelés, du shampoing et des chips. Tout ce dont raffolent les étudiants. Il y a également un rayon entier dédié au merchandising de l’Université : t-shirts, mugs, porte-clés, sacs à dos et autres stylos estampillés du logo bleu et argenté.

Nina arrive au comptoir les bras chargés et ajoute encore deux barres chocolatées au caramel sur la pile déjà branlante de soupe instantanée, pot de sauce tomate, biscuits au citron et crème glacée à la vanille. Tandis que l’employé scanne les articles qui composeront le repas du soir de Nina, celle-ci cherche son porte-monnaie dans les poches de sa veste.

- 7,55, annonce le caissier.

- Mince, où est-ce que je l’ai mis ? s’agace Nina.

- On ferme dans une minute.

- Oui, oui, je sais ! Une seconde.

La cloche de la porte d’entrée résonne dans l’épicerie presque vide.

- Désolée, j’ai dû l’oublier dans ma chambre, explique Nina. Est-ce que je peux vite aller le chercher ? J’en ai pas pour longtemps, j’habite à Elsa Cameron.

- Oui, bien sûr ! Et pendant ce temps je te prépare un cocktail et te fait couler un bain ? raille le caissier qui est déjà en train de ranger ses affaires. C’est pas comme si j’avais une vie, moi, de toute manière.

Nina brandit sa carte d’employée de l’Université :

- Je travaille au bureau des plaintes, mon nom est Dalambert. Je te promets que je passe demain matin à la première heure régler ma dette.

Le caissier ne daigne même pas lever la tête vers elle.

- C’est bon, c’est pour moi, annonce une voix derrière Nina.

Un étudiant un peu plus âgé qu’elle dépose une brique de lait sous son nez et tend un billet de dix au caissier. Nina murmure des remerciements tout en détaillant son bon samaritain : des cheveux châtain clair peignés en arrière, une nuque bien droite et des épaules carrées sous un sweatshirt noir à l’effigie de l’Université. Nina est sûre de ne jamais l’avoir croisé.

Alors qu’elle entasse à nouveau ses emplettes au creux de ses coudes, Nina se demande pourquoi un parfait inconnu fait preuve d’une générosité aussi désintéressée.

- Merci encore, assure-t-elle, en passant la porte de l’épicerie. Passe dès que tu peux au bureau des plaintes et je te rembourserai.

- Ça marche, répond l’étudiant. Bonne soirée Nina.

La jeune femme s’éloigne en direction de sa résidence.

Décidément, elle a la tête ailleurs depuis quelque temps. Elle a beaucoup de travail à fournir pour ses cours de psychologie : des lectures à faire, des dossiers à rendre, des présentations à préparer. Et puis, avec le retour de Michaël au bureau des plaintes, Nina dépense pas mal d’énergie à éviter et à ignorer son collègue. Au début, Michaël avait tenté quelques approches pour lui parler, mais il avait rapidement cessé face au ton froid et plein de reproches de Nina. Simon avait expliqué à sa sœur tout ce que Michaël avait vécu, sa plongée dans la drogue, comment l’inspecteur de Kalbermatten l’avait forcé à s’en sortir en collaborant avec la police, son infiltration secrète dans le trafic du campus et la manière dont il avait aidé la police à démanteler le réseau. Ces révélations avaient surpris Nina, toutefois elle n’était pas encore prête à lui pardonner. Simon avait conseillé à Michaël d’être patient ; quand Nina aurait l’envie de lui parler, elle le ferait savoir.

Mais serait-elle prête un jour ? Cela faisait quatre mois que leur amitié avait basculé et pourtant elle ne se sentait toujours pas rassurée à l’idée d’être dans la même pièce que Michaël. Elle ne pouvait s’enlever de l’esprit qu’il l’avait attrapée à la gorge et serrée si fort que l’air ne passait plus de son corps à sa tête. Si elle n’avait pas eu la présence d’esprit de le frapper pour lui faire lâcher prise, qui sait jusqu’où il aurait pu aller ?

Nina frissonne à cette idée. Heureusement, les vacances de printemps sont bientôt là. La jeune femme pourra se reposer un peu et déconnecter de tout.

 

*

 

Simon et Chris entrent à la cafétéria du campus et prennent place dans la file d’attente du self. Il est midi et demi, et tous les étudiants semblent s’être donné rendez-vous ici en même temps. Ils ont à peine progressé de deux pas lorsque Nina remonte la queue pour les rejoindre, ignorant les remarques injurieuses dans son dos.

- Salut, lance-t-elle, essoufflée. J’ai dix minutes pour manger avant d’aller au bureau. Ça ne vous dérange pas si je passe avant ?

- Non, répond Chris. Vas-y.

- T’aurais peut-être dû demander aux dix personnes que tu as dépassées, chuchote son frère.

- C’est trop le stress aujourd’hui, explique Nina. Mon cours a fini en retard et j’étais à l’autre bout du campus.

Ils attrapent chacun un plateau et déposent des couverts dessus.

- Tu bosses aussi cet après-midi ? demande la jeune femme à son frère.

- Non, pas aujourd’hui. Mais Michaël sera là.

- Ah… génial, marmonne Nina.

Chris croise le regard embêté de Simon.

- Tu sais, sister, il va falloir t’habituer à le côtoyer à nouveau. Tu ne vas pas pouvoir continuer à faire comme s’il n’était pas là toute ta vie.

- Si, j’en suis capable, ronchonne Nina.

Chris approuve d’un hochement de tête dans son dos, avant de porter son attention sur le bar à salades.

- Mic s’en veut tellement de ce qui s’est passé, continue Simon. Il aimerait beaucoup pouvoir s’excuser auprès de toi. Repartir à zéro.

Nina se sert un sandwich et un bol de crudités, quant à Simon il hésite entre un plat de nouilles sautées aux crevettes et le gratin de légumes.  

- Est-ce que c’est lui qui t’a demandé de me dire ça ? pique Nina.

- Non, non ! s’écrie Simon. C’est juste que j’en ai assez d’avoir le cul entre deux chaises… Ça me soûle de voir ma sœur se déchirer avec mon meilleur ami.

- La faute à qui… ? souffle celle-ci.

- Je sais, je sais. Mais tu ne pourrais pas au moins lui laisser l’opportunité de s’expliquer et écouter ce qu’il a à te dire ?

Ils paient leurs repas et vont s’assoir à la table que Chris a réservée. Nina regarde l’heure et lance un juron :

- Je vais être en retard.

- Est-ce que tu peux réfléchir à ma proposition ? revient Simon à la charge.

- Ouais, ouais…

Nina avale en vitesse ses crudités et décide d’emporter son sandwich. Elle le mangera en travaillant.

Alors qu’elle se lève pour partir, Michaël déboule en trombe à leur hauteur.

- Salut, dit-il timidement à Nina, qui fait semblant d’être occupée à emballer son sandwich dans une serviette. Il faut absolument que vous veniez tout de suite au bureau. Il s’est passé quelque chose de grave. On a un gros problème.

 

*

 

Georgina Rose et Hippolyte de Kalbermatten sont en pleine discussion au milieu du couloir administratif lorsque Simon, Nina, Michaël et Chris arrivent. L’inspecteur écarte les bras dans leur direction pour les empêcher d’aller plus loin.

- Je vais vous demander de ne pas entrer dans le bureau, dit-il d’un ton ferme.

- Qu’est-ce qui s’est passé ? interroge Simon.

- Je ne sais pas, répond leur responsable. J’ai découvert le carnage en arrivant à midi.

- Personne ne doit mettre les pieds sur la scène de crime tant que je ne l’ai pas inspectée, explique de Kalbermatten.

- La scène de crime ?! s’exclame Nina.

La jeune femme repousse sans ménagement l’inspecteur et s’approche des deux portes battantes pour jeter un œil à travers la vitre.

Le décor qui apparait de l’autre côté est méconnaissable. Nina a d’abord l’impression qu’une tornade a tourné au milieu de la pièce, épargnant les murs et les vitres. Puis, petit à petit, elle repère certains éléments familiers. Les quatre pieds de son bureau se dressent en l’air, recouverts des coussins flashy du canapé, ou plutôt ce qu’il en reste après leur éventrement. Les chaises ont été propulsées tout autour de la pièce, les armoires vidées de leur contenu. Les bibelots design de Georgina Rose sont cassés ou gisent par terre dans un micmac de feuilles éparpillées et de classeurs de rangement. Même le porte-manteau verni en forme de palmier a semble-t-il volé à travers le bureau et s’est écrasé près de l’escalier en colimaçon. Sous le choc, Nina ose finalement hausser les yeux vers la mezzanine. Le tapis en peau de mouton est accroché à la rambarde de fer forgé et la vision qu’elle craignait la touche de plein fouet : toutes les bibliothèques ont été saccagées, vidées, les rayons brisés en deux, les dossiers lancés à gauche et à droite.

Simon et Chris ont rejoint Nina derrière la vitre partiellement fumée :

- Oh mon Dieu… gémit Simon.

​

*

 

- On en a pour des jours à tout trier et remettre en place… se plaint Michaël, en poussant du pied une étagère effondrée.

Georgina Rose et Hippolyte de Kalbermatten avaient fait le tour de la pièce et constaté que rien de précieux ou d’important ne manquait. De plus, l’inspecteur avait relevé que les entrées et sorties vers l’extérieur n’avaient pas été forcées.

- Préviens-moi si tu remarques quelque chose de particulier, avait-il dit à la responsable avant de quitter les lieux.

Nina, Simon et Michaël avaient alors été autorisés à entrer.

Vu de près, le bazar donne encore plus le vertige ; c’est comme si le bureau des plaintes avait été renversé sens dessus dessous. Les employés ne savent plus où donner de la tête. Simon et Michaël redressent le sofa défoncé, tandis que Nina localise les coussins éparpillés. Les trois collègues se laissent ensuite tomber sur le canapé, le souffle encore coupé.

- À votre avis, quand est-ce que ça s’est produit ? interroge Simon.

- Dans la nuit ? suggère Michaël.

- C’est moi qui ai fermé le bureau hier peu après dix-sept heures trente, intervient Georgina Rose qui s’emploie à entasser ses affaires contre le mur du fond. Et j’ai découvert le bureau dans cet état en arrivant à midi.

- Si ça s’est produit ce matin, quelqu’un doit avoir entendu du bruit, constate Nina. On ne renverse pas tout un mobilier sans se faire remarquer.

- En effet, acquiesce Georgina Rose. Donc le vandalisme s’est logiquement produit entre dix-huit heures hier soir quand le secrétariat principal a fermé et sept heures ce matin.

- Sûrement en plein milieu de la nuit, corrige Simon. Pour être sûr que personne ne les entende.

- Les ? s’étonne Nina.

- À mon avis ils étaient plusieurs. T’imagines faire tout ce bordel toute seule ?

Les employés restent pensifs quelques minutes, chacun digérant les informations à sa manière. Le cerveau de Simon analyse toutes les données en sa possession pour tenter de démêler la situation, Nina tente de comprendre qui pourraient être les auteurs de ce carnage et Michaël calcule le nombre d’heures de travail que cela va demander pour tout remettre en ordre.

- Qui a pu faire une chose pareille ? interroge Nina.

- Je pense que la question qu’on doit se poser avant tout c’est : pourquoi ont-ils fait ça ? murmure Simon. En cherchant la raison du crime, on trouvera les coupables.

- En tout cas, ils ont eu de la peine à trouver ce qu’ils cherchaient eux, rétorque Michaël.

- Tiens, interrompt Georgina Rose, ils n’ont même pas emporté ma statuette de centaure en bronze. Elle vaut pourtant une petite somme sur les marchés de l’art.

La responsable époussette l’objet jeté par terre et le replace à côté de l’aquarium dont l’eau a été renversée sur le parquet.

- Ce truc tout moche ? Une œuvre d’art ? siffle Michaël entre ses dents. Tu m’étonnes qu’ils soient passés à côté…

Nina a commencé l’inventaire de son coin de travail : une pile informe de papier et de tiroirs renversés :

- Pourquoi prendre autant de risques pour finalement ne rien emporter qui a de la valeur ?

Simon se lève à son tour du canapé et parcourt la pièce des yeux. Il remarque qu’un t-shirt de sport de Michaël pend au lustre central.

- Et s’ils avaient fait ça juste par plaisir de tout démonter ? suggère-t-il.

- Dans ce cas, ils devaient vraiment avoir quelque chose contre le bureau des plaintes, réplique Nina.

Le jeune homme repense aux affaires qu’ils ont traitées ces dernières semaines. Des cas plutôt banals, rien qui ne sorte du lot.

- Donc si je résume vite fait, commence Michaël, on ne sait ni quand le crime a eu lieu, ni qui l’a commis, ni pourquoi.

- Bien vu, Sherlock…, soupire Simon.

- Alors peut-être que nous devrions chercher comment ils s’y sont pris ?

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

- La porte et les fenêtres n’ont pas été fracturées, pourtant les faits ont eu lieu en plein milieu de la nuit alors que le bâtiment est verrouillé de toutes parts. Comment sont-ils entrés et sortis ?

Georgina Rose, Nina et Simon se sont tous immobilisés pour écouter le commentaire pertinent de Michaël.

- Ok, pas bête, concède Simon. Option 1 : ils se sont cachés à l’intérieur avant la fermeture et sont ressortis discrètement ce matin tandis que tout le monde débarquait.

- Option 2 : quelqu’un a laissé une fenêtre ouverte, accuse Nina indirectement.

- Je peux vous certifier qu’elles étaient bel et bien fermées, claque Georgina Rose.

- Dans le bureau peut-être, mais a-t-on vérifié le reste des locaux ?

- Le service de conciergerie patrouille chaque soir pour s’en assurer.

- Option 3 : ils sont entrés à l’aide d’un badge administratif, continue Simon.

- Si c’est le cas, ce sera facile de les identifier, conclut Michaël.

- Sauf s’ils ont utilisé un double ou volé un passe, relance son collègue.

La sonnerie d’appel au travail résonne dans le bureau et leur glace le sang. Les vandales auraient au moins pu la mettre hors circuit :

- Il nous faut un accès aux caméras de l’entrée et au registre des badges, ordonne Georgina Rose. Mademoiselle Dalambert, faites immédiatement une demande à la Faculté. Monsieur Dalambert, vous vous occuperez de traiter les fichiers informatiques. Monsieur Fassnacht, arrangez-vous pour que nous ayons chacun un espace de travail d’ici deux heures, afin de visionner les vidéos des caméras de surveillance. Il faut que nous sachions au plus vite qui est entré et sorti de l’Union entre, disons, six heures hier soir et six heures ce matin.

Sans attendre, Nina s’en va faire la demande en personne au secrétariat de la Faculté. Simon sort son ordinateur et Michaël se redresse dans le sofa :

- Ouais, trouvons les coupables rapidement et faisons-les payer en exigeant qu’ils nettoient eux-mêmes leur boxon.

 

*

 

Grâce aux contacts de Georgina Rose, les fichiers vidéo des caméras de surveillance de l’Union arrivent en fin d’après-midi sur l’ordinateur de Simon. Celui-ci fait trois copies qu’il dépose sur ceux de ses collègues.

Simon a installé son bureau dans un coin vide de la pièce, sous la mezzanine. Nina a pris place dans un fauteuil près de la kitchenette et Michaël occupe la moitié de table basse qui tient encore debout dans le salon.

Derrière les baies vitrées, la cour de l’Union s’est vidée sous l’effet d’une fine pluie de printemps. De temps à autre, des groupes d’étudiants en provenance d’une salle de cours ou en route vers la bibliothèque passent sous la galerie couverte devant le bureau des plaintes.

À l’intérieur, les trois employés sont concentrés sur les images qui défilent à l’écran. Étant donné que toutes les entrées du bâtiment ne sont pas surveillées par caméra, il est impossible de vérifier chaque visage qui entre et qui sort de l’Union. Au lieu de cela, ils se concentrent d’abord sur les moments de fermeture, entre dix-huit heures du soir et sept heures du matin. Nina, Simon et Michaël se sont partagés les spots : Nina a hérité de la caméra de la cour intérieure, jointe à la bibliothèque, Simon de celle de l’entrée principale et Michaël surveille le passage à côté du Croc’.

Après une longue heure de visionnement, Michaël lève les bras au plafond :

- Là !

Simon, Nina et Georgina le rejoignent rapidement et se postent autour du canapé. L’écran de son portable affiche le chemin pavé qui relie le portail du campus à la cour intérieure de l’Union. Il est 1h17 du matin lorsque soudain l’image tremblote, puis devient gris neige.

- Quelqu’un a débranché la caméra, commente le jeune homme. Ils ont dû venir du côté du Croc’ et longer le mur.

Georgina Rose lance un juron qui surprend les étudiants.

- Au moins, on sait maintenant à quelle heure le crime s’est produit, encourage Simon.

- Ils ont emprunté l’entrée située sous l’horloge, elle donne sur la galerie des portraits, puis les bureaux des professeurs, et le couloir administratif.

- Parfait, on va pouvoir croiser ces infos avec celles du fichier des badges.

Simon s’installe dans le canapé à côté de Michaël, son ordinateur sur les genoux, et commence à pianoter fébrilement. On n’entend plus que ses doigts taper le clavier.

- Voilà, j’ai isolé les entrées en fonction de l’heure et du lieu.

Un nom apparait alors sous leurs yeux ébahis : Nina Dalambert.

Georgina Rose dévisage son employée d’un air suspect.

- Attendez ! C’était pas moi ! se défend Nina.

- Pourtant, c’est bien votre nom qui est sur l’écran ! s’exclame la responsable. Comment vous expliquez ça ?

- J’en sais rien ! Ça doit être une erreur informatique.

Simon baisse la tête pour éviter de croiser le regard désespéré de sa sœur. Il sait pertinemment que cela n’a rien à voir avec l’informatique.

- Erreur ou pas. Je me vois contrainte de transmettre ce nouvel élément de l’enquête à la police, mademoiselle Dalambert.

Tandis que Georgina Rose part chercher son smartphone, Nina se prend la tête entre les mains pour ne pas devenir folle. Son frère décide d’intervenir :

- On ne pourrait pas attendre un peu ? Le temps de trouver une explication rationnelle.

- S’il vous plait, supplie Nina à l’attention de sa supérieure. Vous savez bien que je n’y suis pour rien. Pourquoi est-ce que j’aurais mis le bureau à sac ?

- Peut-être avez-vous eu un coup de stress ? rétorque Georgina Rose. Vous avez l’air un peu à cran depuis plusieurs semaines. Alors sur un coup de tête… Ma foi, certaines personnes sont imprévisibles.

Nina ne tient plus en place. Pourquoi cela lui retombe-t-il dessus ? Cela ne fait aucun sens ! Après deux ans de bons et loyaux services au bureau des plaintes, quel intérêt aurait-elle à commettre un tel scandale ? Il ne manquait plus que ça. La jeune femme attrape ses affaires et s’enfuit dans le corridor.

 

*

 

Avant de rentrer à son appartement, Simon décide de faire un crochet par la chambre de sa sœur. Il lui a laissé deux messages, mais elle n’a pas répondu. Par contre, il la connait assez bien pour savoir que si elle n’a pas le moral, Nina a tendance à se refermer sur elle-même. C’est donc sans surprise qu’il la retrouve enfouie sous les couvertures, devant un épisode de série pour ados.

- Comment tu te sens ? demande-t-il en se dégageant une place au pied du lit.

- Comme une innocente qu’on accuserait à tort d’un crime.

- J’ai réussi à convaincre Georgina Rose d’attendre demain pour prévenir de Kalbermatten.

- Merci Simon. Pas sûre que cela change grand-chose d’ici là…

- Mais où est passée ma sœur ? Celle toujours prête à se défendre contre une injustice, celle qui ne se laisse jamais faire ?

Nina reste d’abord silencieuse à la blague de son frère, puis soupire :

- Tu sais, je ne me sens plus vraiment moi-même depuis le début de l’année…

- Et bien, il serait peut-être temps de remédier à tout ça ! Arrête de te morfondre ! Tu n’es pas une victime, tu es une battante ! Allez, sors de sous ses draps, je t’offre un verre au Croc’. On n’y a presque pas mis les pieds depuis le début du semestre.

Nina geint quelques instants, mais Simon ne lâche pas l’affaire. Il repousse la couette, trouve les chaussures et la veste de sa sœur et la tire vers la sortie.

 

*

 

Le Croc’ n’est pas très occupé ce mardi soir-là. Les vacances se rapprochant, les étudiants profitent sûrement de terminer leurs devoirs pour pouvoir réellement déconnecter à Pâques. Un vieux tube du groupe Muse sert de musique de fond aux quelques joueurs de billard qui se disputent la boule blanche.

Comme Michaël travaille ce soir-là, Nina préfère s’assoir à une table contre le mur et laisse son frère commander deux bières au bar. De loin, elle l’observe discuter avec son colocataire pendant que celui-ci manie la tireuse.

Alors que Simon sort son portefeuille pour payer les boissons, Nina se fige. Elle ne bouge toujours pas lorsque son frère s’assied à côté d’elle et dépose deux chopes sur la table devant eux.

- Mon porte-monnaie ! s’écrie-t-elle.

- T’inquiète, c’est moi qui offre, insiste Simon.

- Non, non ! Hier soir, j’avais oublié mon argent dans ma chambre quand je suis allée faire des achats à l’épicerie. Un gars a proposé de payer pour moi.

- Sympa.

Les lèvres pincées, Nina se met à fouiller à la hâte son sac et ses vêtements :

- J’ai perdu mon passe ! s’exclame-t-elle alors, d’un ton désespéré.

- T’es sûre que tu ne l’as pas laissé à la résidence ?

- Non, je le mets toujours ici dans ma veste pour l’avoir à portée de main !

- Mais tu l’as vu où pour la dernière fois ? interroge encore Simon.

- Je l’ai sorti hier soir à l’épicerie justement !

- Et pas aujourd’hui ?

- Je n’en ai pas eu besoin puisqu’on est arrivés ensemble au bureau. C’est toi qui as ouvert la porte.

- Ouais, c’est juste. Donc tu l’aurais laissé à l’épicerie hier et quelqu’un l’aurait trouvé et s’en serait servi pour pénétrer dans l’Union cette nuit et mettre le bureau à sac ?

- Le shop était sur le point de fermer, il n’y avait plus que moi, le caissier et ce gars qui a payé mes courses. C’est forcément l’un des deux qui l’a ramassé !

- Réfléchis bien, sister.

Nina ferme les yeux pour tenter de mieux se remémorer la scène :

- J’avais les bras chargés de provisions… Le type m’a tenu la porte pour sortir… Et il m’a saluée… En m’appelant par mon prénom ! Comment est-ce qu’il pouvait le connaitre ?

- Il savait qui tu étais. Peut-être qu’il te suivait depuis un moment, attendant la bonne occasion pour te piquer ton badge.

Nina n’en revient pas de sa naïveté.

Michaël arrive vers eux pour déposer un bol de chips au milieu de la table.

- Cadeau de la maison, lance-t-il en faisant à Nina un signe de salutation de la tête.

Toutefois, celle-ci a l’esprit trop occupé pour faire santé ou remarquer quoi que ce soit. Son manque de négligence la fait culpabiliser. Peut-être qu’elle n’a pas elle-même mis le bureau sens dessus dessous, mais Georgina Rose a raison : c’est de sa faute si cela a pu arriver.

- Tout va bien ? demande le barman. Qu’est-ce qui se passe ?

- Apparemment, Nina a perdu son badge, commence Simon après qu’il a constaté que sa sœur ne semblait pas encline à adresser la parole à Michaël.

- Ah… et tu sais où ?

- Oui, c’est tout bon, je gère, claque Nina en fusillant son frère du regard.

Simon n’ose rien ajouter et, piqué au vif, Michaël laisse tomber la discussion et tourne les talons.

- C’était pas très sympa, commente Simon. Il essayait de t’aider.

- Je n’ai pas besoin de son aide, rétorque Nina.

Ils boivent leur bière dans un silence rempli de désaccord. Puis, finalement, à la vue du visage décomposé de sa sœur, Simon décide de prendre les choses en main :

- Ok, vas-y. Parle-moi du type. Comment était-il ?

- Je ne l’avais jamais vu… Il devait avoir autour des vingt-cinq ans. Ses cheveux étaient ramenés en arrière avec du gel et il avait une allure plutôt athlétique. Simon, il faut qu’on aille au bureau consulter le fichier des cartes d’étudiant. Je suis sûre que je pourrais le reconnaitre !

Simon acquiesce et boit une gorgée de bière, mais sa sœur continue de le fixer d’un air insistant :

- Maintenant !

​

*

 

Sa bière dans la main droite, Simon utilise la gauche pour passer son badge devant le lecteur. Un double bip répond à son geste et Nina appuie sur la poignée. Le couloir administratif est plongé dans l’obscurité de fin de journée. Le frère et la sœur ne prennent même pas la peine d’allumer la lumière, ils filent droit vers le bureau des plaintes.

Simon avait proposé de télécharger le fichier sur son portable et de travailler depuis le Croc’, mais Nina craignait que cela prenne trop de temps. L’étudiant en informatique récupère donc le disque dur et le relie à son appareil. L’ordinateur du bureau n’a malheureusement pas survécu au passage des vandales et s’apprête à rejoindre la décharge.

Installés côte à côte sur le canapé, Simon fait défiler les photos de tous les étudiants de l’Université et Nina détaille les traits de chacun d’eux. Au bout d’une demi-heure, le jeune homme cligne des yeux et commence à douter :

- Tu es certaine que ce gars était étudiant ? Ça pourrait être un prof ou un employé ?

- Il portait un sweatshirt avec le logo de l’Université…

Simon en avait un identique dans son armoire.

- Le genre d’habits que n’importe qui peut acheter à la boutique ? rétorque-t-il.

Nina se laisse tomber dans les coussins déchiquetés. Des déchets de mousse volètent dans l’air autour d’elle.

- Si je ne le retrouve pas, Georgina Rose me dénoncera demain et je n’aurai aucune preuve de mon innocence.

- Bon, refaisons la liste une dernière fois, propose Simon.

 

*

 

La semaine s’était écoulée et le bureau des plaintes restait fermé pour maintenance. Nina, Simon et Michaël s’étaient occupés à débarrasser les gros objets cassés et à déblayer leur espace de travail.

L’inconnu n’étant apparemment pas dans le fichier des cartes d’étudiant, Nina n’avait pu fournir le nom du coupable. Elle avait expliqué la situation à sa responsable et avait été brièvement interrogée par de Kalbermatten. Non, elle n’avait pas d’alibi pour la nuit du crime. Elle dormait profondément dans son lit, seule. Non, elle n’avait aucun mobile. Quel intérêt aurait-elle eu à saccager son lieu de travail et ses propres affaires ? Malgré cela, Georgina Rose continuait de lui parler sèchement et de garder un œil constant sur elle.

- Alors on se rejoint à la gare demain matin pour partir au Mont Rouge ensemble ? demande Nina en récupérant ses affaires le jeudi soir.

- Ouais, répond son frère.

- Chris restera avec nous jusqu’à quand ?

- Il repart lundi après-midi.

Leurs parents les avaient invités à venir passer les fêtes de Pâques dans leur chalet à la montagne et pour une fois, Simon avait accepté. Nina se réjouissait de ce moment avec la famille réunie au complet, coupée du monde extérieur. Elle espérait se changer les idées et ne plus penser à l’inconnu dont le visage la hantait depuis deux jours.

Chaque fois qu’elle traversait le campus, elle scannait les étudiants à la recherche de celui-ci. Elle était allée deux fois par jour à l’épicerie dans l’espoir de retomber sur lui. Elle avait reparcouru le fichier des photos étudiantes quatre fois de plus. D’ailleurs, ce bon samaritain n’était jamais venu au bureau réclamer son dû comme ils l’avaient arrangé. Preuve, selon Nina, qu’il était bel et bien impliqué.

La jeune femme sort de sa poche l’espèce de portrait-robot qu’elle a elle-même griffonné et le regarde une dernière fois avant de le laisser tomber dans la corbeille à papier.

- Et toi Simon tu rentres quand ? questionne alors Michaël qui sort de la kitchenette.

- En milieu de semaine je pense. J’ai pas mal de boulot à rendre pour mes cours.

Mais Michaël ne l’écoute pas. Il a la tête penchée sur le côté et fixe la corbeille à papier :

- Qu’est-ce que c’est ? murmure-t-il en extirpant le portrait-robot.

- Rien, réplique Nina sèchement.

- C’est la tête du type de l’épicerie, répond alors Simon à sa place.

- Je le connais ! déclare Michaël.

- Quoi ?! s’étonne Simon.

- C’est Dragon. Un petit dealer de drogue du coin. Il n’étudie pas à l’Université, c’est pour cela que vous ne l’avez pas trouvé dans le fichier.

- Et pour quelle raison aurait-il mis le bureau dans cet état ? questionne Simon.

- Sûrement pour se venger de moi… J’ai aidé à démanteler son trafic le mois passé.

Georgina Rose qui a suivi la conversation de loin se rapproche et saisit le dessin :

- Mais pourquoi vous ne l’avez pas dit plus tôt ? s’énerve-t-elle.

Michaël se retourne vers Simon et Nina, qui respectivement baissent les yeux et se mordent les lèvres. Alors là, ils ont bien foiré leur coup. Georgina Rose s’isole pour téléphoner à l’inspecteur de Kalbermatten et lui transmettre la nouvelle information. Simon se place entre sa sœur et son coloc et pointe deux doigts accusateurs dans leur direction :

- J’en ai plus qu’assez de vous deux, articule-t-il. D’accord si vous ne voulez plus vous voir, d’accord si vous ne voulez plus passer du temps l’un avec l’autre, d’accord, d’accord. Mais vous travaillez ensemble ! Donc il va falloir faire un minimum d’efforts pour communiquer. Aujourd’hui ça a failli mettre Nina dans l’embarras, demain qui sait ?

Simon marque une pause, mais Nina et Michaël ont bien compris que sa question ne demande pas de réponse. Pourtant le jeune homme reprend :

- Personne ! Personne ne le saura jamais, parce que je ne veux plus que ça se reproduise ! Alors réglez vos soucis de la manière qui vous paraitra la moins mauvaise, mais vous avez dix jours. Pas un de plus.

Simon voit à leur tête que le message est passé :

- Sur ce, conclut-il en jetant son sac sur l’épaule, bonnes vacances.

Nina et Michaël restent de marbre au milieu du bureau, n’osant croiser leurs regards. La jeune femme semble avoir compris son erreur : leur manque de communication aurait pu leur coûter cher. Michaël, quant à lui, sait que malgré ses tentatives, il a sa part de responsabilité aussi dans cette situation tendue. À eux maintenant de trouver un terrain d’entente.

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