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Saison 3 - Épisode 4

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Appel à l'aide (partie 1)

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Nina Dalambert est assise sur son lit (ou plutôt le lit de son frère) et termine la lecture d’un article en psychologie socio-cognitive. Le jour se lève derrière les rideaux tirés. La jeune femme remonte la couverture jusqu’à sa taille. L’hiver commence à s’installer. Le week-end précédent, les premières neiges de la saison ont recouvert le campus.

Des rires étouffés lui parviennent à travers la cloison. Une porte s’ouvre et se ferme. Heureusement que les murs ne sont pas plus fins. Elle ne comprend pas ce qu’ils disent, mais elle entend Michaël demander à Maya de faire moins de bruit.

Quelques minutes passent, puis Michaël frappe trois coups et Nina l’invite à entrer. La tête du jeune homme apparait dans l’entrebâillement :

- Salut Nina, bien dormi ?

Elle acquiesce en s’étirant.

- J’ai préparé des pancakes, si t’en veux.

- Merci beaucoup, j’arrive.

Nina enfile un jogging, un col roulé gris foncé et suit l’odeur des pancakes qui envahit l’appartement et donne l’eau à la bouche.

Michaël est derrière les fourneaux, une spatule dans la main gauche, la poêle dans la droite. L’air très concentré, il se mordille la lèvre inférieure tout en faisant sauter le pancake au-dessus du feu.

- Joli ! s’exclame Nina.

Elle ne peut pas dire de même de la crêpe toute fine, difforme et brûlée sur un côté que son colocataire lui sert avec un grand sourire. Elle la picore du bout des doigts :

- J’ai reçu un e-mail de l’Université hier soir, concernant l’incendie.

- Tu sais quand tu vas pouvoir retourner dans ta chambre ?

- Non… Mais en tout cas pas avant Noël. Ils disent que les travaux à Elsa Cameron vont encore durer quelque temps.

- Pas de problème ! la rassure Michaël. Tu peux rester ici autant que tu veux.

Nina le remercie. Cela fait déjà trois semaines qu’elle cohabite avec Michaël et Maya, et elle aurait pu apprécier la collocation, s’il n’y avait la gêne du premier et les regards jugeants de la seconde.

D’ailleurs, cette dernière sort de la salle de bains et les rejoint à la cuisine :

- J’ai manqué quelque chose ?

- Non, t’arrives juste à temps pour goûter mes supers pancakes ! Comment tu les trouves Nina ?

La bouche pleine, la jeune femme élude la question et préfère se retirer dans sa chambre. Elle a trop souvent l’impression de tenir la chandelle entre les deux tourtereaux.

- Ils sont délicieux ! s’exclame faussement Maya pour satisfaire son copain.

- Je vais en faire quelques-uns en plus à apporter à Simon, dit fièrement Michaël.

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Sous la mezzanine, Simon travaille, penché sur l’écran de son ordinateur. Une tasse de thé refroidit à côté. Zoé prend son déjeuner dans la kitchenette. Depuis qu’ils ont récupéré le bureau des plaintes, les quatre employés y passent la plupart de leur temps libre entre les cours. Ils révisent à une table, prennent leurs repas dans la cuisine, se détendent dans le salon.

Nina entre en frissonnant :

- Brrr… Ce brouillard est glacé. Je crois que je vais me faire un chocolat chaud. T’en veux un ? demande-t-elle à son frère.

- Nan… Pour moi, c’est camomille au miel. J’ai mal à la gorge…

La jeune femme vient poser une main sur le front de Simon :

- Juste un refroidissement.

Elle dénoue son écharpe et la passe au cou de son aîné :

- J’ai deux heures de libre aujourd’hui, je crois qu’il est temps de ramener un peu de magie de Noël dans ce bureau !

L’année précédente, leur responsable avait interdit à Nina de décorer les locaux pour la période des fêtes. Alors, la jeune femme s’est promis que cette fois, personne ne l’empêchera de suspendre des guirlandes, de parsemer les bureaux de fausse neige et de composer des bouquets avec des branches de sapin et du houx.

- Vous avez quelque chose de prévu pour les vacances ? questionne Zoé, qui a écouté leur conversation derrière l’escalier en colimaçon.

- Ah oui justement ! réagit Nina. Je vais réserver mon billet de train pour le Mont Rouge. J’ai prévu de partir vendredi prochain, trois jours avant Noël. Je t’en prends un ?

Sans quitter son portable des yeux, Simon acquiesce :

- Même deux, en fait.

- Tu as invité Chris ! s’exclame Nina, avec excitation. C’est génial !

- T’enflamme pas, on reste jusqu’au 24, ensuite on ira fêter dans sa famille.

- C’est où le Mont Rouge ? demande Zoé.

- Nos parents ont un chalet dans cette station de ski, explique Nina, ravie d’apprendre que son frère et son chéri seront de la partie cette année.

Jusqu’ici, Simon avait plutôt tendance à éviter les réceptions familiales.

- Et toi, Zoé ? Des projets ?

- Euh… Rien de particulier.

- Venez voir ça, les coupe Simon.

Les deux étudiantes se plantent derrière lui.

- Je parcourais la boîte mail du bureau quand je suis tombé sur ce message qui était dans les spams.

Il ajuste l’écran de son ordinateur pour que Nina et Zoé puissent voir le contenu. Il n’y a ni sujet, ni texte. Juste un lien sur lequel Simon clique.

- Attends ! Tu fais quoi ? s’alarme sa sœur.  On t’a jamais appris dans tes cours à ne pas cliquer sur  quelque chose que tu ne connais pas ?

- Relaxe, j’ai vérifié la source… répond Simon, légèrement agacé.

S’ouvre alors une page internet où une vidéo se lance automatiquement. On y voit quelqu’un qui tient des feuilles de papier à hauteur de son torse. La personne dont la tête est hors-cadre les fait défiler les unes après les autres. Nina lit à voix haute :

- « Je ne sais pas – si quelqu’un lira ce message – ceci est un appel – un appel à l’aide – de toutes les personnes – qui comme moi souffrent – en silence – et dans l’ombre – d’épuisement – de surcharge – de dépression – de solitude – d’anxiété – nous demandons – à l’Université d’agir – avant qu’il ne soit trop tard. »

Un silence pesant suit la fin de la vidéo.

- Qui a envoyé ça ? questionne Nina.

Simon retourne sur l’e-mail. L’adresse utilisée est « helpme@dotonmail.com », rien qui ne révèle l’identité de l’émetteur.

- On a déjà reçu un message de cette personne la semaine passée, avoue Zoé. Il était dans les spams. Je l’ai supprimé sans l’ouvrir.

- Il a été envoyé à plusieurs adresses administratives de l’Université, explique Simon après avoir manipulé sa souris et son clavier. Mais il n’a sûrement pas passé la barrière des spams.

- Qu’est-ce qu’on fait ?

Les trois étudiants se dévisagent une minute, sans parler.

- On peut pas ignorer cet appel à l’aide, constate Nina. Il faut qu’on en parle au doyen et qu’on découvre qui est l’auteur de la vidéo.

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*

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Le doyen Freiss s’incline sur le dossier de sa chaise et croise les bras sur sa poitrine. De l’autre côté de son bureau, Nina et Michaël sont suspendus à ses lèvres :

- Oui, j’ai déjà vu cette vidéo, déclare-t-il. Et la Faculté a tenté de remonter la piste de l’émetteur, sans succès. C’est peut-être une simple mauvaise blague.

- Ou un appel à l’aide avant de passer à l’acte ! argumente Nina.

- La Faculté a essayé de contacter la personne par retour d’e-mail, mais cela n’a rien donné non plus.

Ça avait également été le premier réflexe des employés du bureau des plaintes. Simon avait rédigé une réponse :

« Merci pour ton message et ta vidéo qui nous ont beaucoup touchés. Nous sommes là pour t’écouter et t’aider. Tu peux passer au bureau des plaintes ou nous écrire quand tu veux. Nous voulons vraiment faire quelque chose pour toi. »

Mais personne ne s’était manifesté.

- Alors vous n’allez rien faire de plus ? demande Michaël.

- Comment voulez-vous aider quelqu’un qu’on ne peut même pas contacter ?

Le doyen jette un œil à sa montre et s’active à ranger des papiers éparpillés devant lui :

- Retrouvez l’identité de la personne qui a tourné la vidéo et peut-être que je pourrais remonter l’affaire à la Faculté.

Michaël s’apprête à rétorquer, mais Nina pose une main réprobatrice sur le bras de son collègue.

Sur le seuil du bureau, Michaël interroge son amie du regard.

- On va essayer et prouver à Freiss que le BPU sert à quelque chose.

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*

 

Le lendemain, les tables avaient été rapprochées et les quatre collègues étaient assis devant l’écran d’ordinateur. C’était la sixième fois qu’ils visionnaient la vidéo d’appel à l’aide.

- La qualité n’est pas très bonne, ça a dû être filmé avec une webcam, commente Michaël.

Simon confirme et ajoute :

- Sur un des ordinateurs disponibles à la médiathèque, vu l’adresse IP.

- Impossible de dire si c’est une fille ou un garçon, enchaine Zoé. On ne voit que ses mains et on n’entend jamais sa voix.

- Il ou elle porte un sweat noir, analyse Nina. Et le peu qu’on distingue en arrière-plan ressemble à un mur blanc. La lumière est artificielle, donc difficile de savoir quand ça a été tourné.

- Même si on retrouvait l’ordinateur qui a servi, on pourrait pas isoler le bon identifiant.

Zoé avait relevé tous les indices sur une grande feuille, mais il restait beaucoup de blancs :

- Et si on lançait un avis de recherche sur le campus ?

- Genre avec des affichettes « Avez-vous vu cette personne ? », en demandant aux étudiants de nous contacter ? Même si c’était les mains de ma sœur, je serais incapable de les reconnaitre !

- Je pensais plutôt un flyer qui dirait « Si vous êtes cette personne, veuillez prendre contact avec le BPU »…

- Je sais pas… soupire Nina. Si il ou elle ne répond pas à nos messages privés, je ne suis pas sûre que l’afficher en public dans toute l’Université soit plus efficace.

- Alors il n’y a aucun moyen de savoir qui c’est et la Faculté ne fera rien pour aider les étudiants.

Simon regarde au-delà des portes-fenêtres du bureau des plaintes.

Dans la cour intérieure de l’Union, des dizaines de jeunes marchent, discutent, sortent de leur salle de cours, se rendent à la bibliothèque, fument une clope devant le Croc’. Est-ce que la personne de la vidéo continue de vivre sa vie comme si de rien n’était, juste sous leurs yeux ? Combien souffrent en silence, parmi la foule, malgré les apparences ? Lui-même s’est déjà senti débordé par la quantité de travail, les délais de plus en plus courts, les examens qui s’enchainent. Leur inconnu ou inconnue n’a pas tort : il faut que l’Université mette en place une structure d’aide psychologique aux étudiants.

- La Faculté veut un nom, déclare-t-il. Alors on va lui en donner un. Demandons à un ou une étudiante de se faire passer pour l’auteur de la vidéo.

- Tu crois que ça marcherait ? s’inquiète Nina.

- Essayons ! Perso, je ne peux pas rester les bras croisés. Au moins, on ferait avancer les choses.

- OK, je vais demander à une copine d’Elsa Cameron, si elle est d’accord de jouer le jeu. Je la briefe sur l’histoire de la vidéo et on donne ses coordonnées à Freiss.

Simon sent un poids s’échapper de son thorax. Parfois, un petit mensonge est nécessaire.

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Le soir, Nina retrouve Michaël à l’appartement. Elle dépose son manteau et ses bottines dans l’entrée, et file vers la cuisine. Son colocataire est aux fourneaux : dans une casserole des pâtes fusilli. Un bocal de sauce tomate attend sur le plan de travail.

- Bah dis donc, l’autre jour des pancakes, maintenant des pâtes ! s’étonne Nina. Et moi qui croyais que c’était Simon le cordon-bleu.

Michaël lui tend une fourchette pour qu’elle goûte la cuisson. Nina lève le pouce en l’air et demande :

- Maya vient manger ?

- Non, on n’est que les deux ce soir.

La jeune femme apprécie d’autant plus que son ami ait mis les petits plats dans les grands. Elle prend le verre que Michaël lui offre et s’assied sur le comptoir.

- J’ai pu parler avec Teresa. Elle accepte de nous aider. Si Freiss la contacte, elle dira qu’elle a fait la vidéo parce qu’elle se sentait sous l’eau avec la fin du semestre.

- C’est sympa de sa part d’être prête à mentir.

- Je n’ai pas eu à insister. À mon avis, c’est plus de l’exagération que du mensonge.

- Ouais, on est tous crevés à cette période de l’année.

Vivement les vacances, pense Nina. Pour elle, ce sera repos en famille. Ses parents, trop heureux de revoir leurs enfants, seront aux petits soins pour elle et son frère. La jeune femme prend conscience que tout le monde n’a pas la chance de se faire dorloter entre la fin des cours et le début des partiels…

Nina boit une gorgée, puis se lance :

- Au fait Mic, je voulais te demander… T’as quelque chose de prévu pour les fêtes ?

- Non, rien de spécial. Il faut que je voie avec Maya si…

La fin de sa phrase se perd dans le bouillonnement de la sauce tomate dont il verse une généreuse part sur les pâtes. Nina sort une paire de couverts :

- Si ça te dit, tu peux passer Noël avec nous au Mont Rouge.

Michaël se fige, apparemment surpris par la proposition de sa colocataire :

- T’es sûre ?

- Oui, il y a bien assez de place au chalet et mes parents sont toujours contents de recevoir des gens.

- C’est gentil, Nina. Volontiers !

Les deux amis se jettent sur leurs assiettes et avalent goulument leurs pâtes à la sauce tomate.

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FIN DE LA PARTIE 1

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Appel à l'aide (partie 2)

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Quelques jours plus tard, les quatre employés du bureau des plaintes attendent impatiemment le retour de Teresa. Cette dernière a été convoquée par le doyen Freiss pour un entretien et ils espèrent que leur briefing aura suffi à faire illusion.

Nina fait les cent pas dans la pièce, en se rongeant les ongles. Simon tente de se concentrer sur son devoir à rendre. Michaël prétend faire une sieste sur le sofa. Et Zoé semble être la seule à réellement travailler cet après-midi-là.

Quand Teresa entre dans le bureau, tous les regards se tournent vers elle. La jeune femme les fait mariner un peu en prenant tout son temps pour déposer ses affaires et s’installer dans l’un des poufs du coin salon. Simon et Nina la rejoignent, tandis que Zoé continue de rédiger un rapport.

- Alors ?

- Ça s’est bien passé ! s’enthousiasme-t-elle, passant une main sur ses cheveux ras. Plutôt sympa le doyen.

- Il t’a posé des questions ? s’inquiète Simon.

- Ouais.

- Et il t’a cru ?

- Apparemment

- Et qu’est-ce qu’il en pense ?

- Il m’a demandé ce que selon moi l’Université devrait mettre en place pour pallier le problème de surmenage des étudiants.

- OK, intéressant. T’as dit quoi ?

- J’ai dit qu’il devrait y avoir beaucoup plus de fêtes le week-end.

Sa réponse jette un froid dans la pièce. Même Zoé lève les yeux de sa tâche pour observer ce qui se passe. Michaël esquisse un petit ricanement.

- Je plaisante ! les rassure Teresa, avant de s’esclaffer. Détendez-vous ! Vous devriez apprendre à faire confiance aux autres…

Mais Simon et Nina gardent un masque sérieux sur le visage.

- J’ai dit au doyen que j’allais y réfléchir et en discuter avec vous. Il m’a demandé que vous lui soumettiez des solutions lors de votre prochain meeting.

Simon se met enfin à respirer de nouveau :

- Super ! Tu as très bien fait. Merci beaucoup.

- Avec plaisir ! Vous me tiendrez au courant de la suite des événements. C’était sympa de vous aider.

- Tournée de bières gratuites pour toi au Croc’ la prochaine fois, lui promet Michaël.

- Je m’en souviendrai, dit-elle avec un clin d’œil.

Les quatre collègues n’attendent pas une seconde pour se mettre au travail et réfléchissent à la meilleure manière de procéder.

- On devrait demander l’avis des étudiants, suggère Simon. On peut faire un questionnaire en ligne.

- Ça prendra trop de temps de le mettre en place et d’analyser les réponses, contre-argumente sa sœur. Pour le coup, je pense qu’il faut qu’on fonctionne de façon plus personnelle. En allant discuter de vive voix avec les personnes concernées, par exemple.

- On pourrait passer parmi les étudiants au Croc’ ce soir, propose Michaël. Il y aura du monde.

- Pas sûr que le public du Croc’ soit notre cible… contredit Simon. Essayons plutôt la bibliothèque.

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Ils ont convenu que Simon et Nina effectueraient un tour de la bibliothèque l’après-midi, tandis que Michaël et Zoé passeraient en soirée, avant la fermeture. Ils se sont aussi mis d’accord sur quelques questions communes. C’est donc armés de leurs smartphones que Michaël et Zoé traversent la cour intérieure. Des spots savamment orientés illuminent les tuiles ocre des toits de l’Union, et sous les arcades, la faible lumière de lanternes suspendues à intervalles réguliers éclaire les pavés. Michaël frissonne et regrette de ne pas avoir mis son manteau pour cette courte traversée dans la nuit de décembre.

- Alors, tu fais quoi pour Noël ? questionne Zoé.

- Euh… Nina m’a invité à la montagne, mais faut que je voie avec ma copine, si elle a prévu quelque chose.

Zoé s’arrête, les sourcils froncés, et réajuste son bonnet en laine :

- Je croyais que c’était Nina, ta copine.

- Quoi ? Non, elle s’appelle Maya. On est ensemble depuis six mois, ajoute-t-il fièrement.

Une bouffée de chaleur envahit le buste du jeune homme, qui souffle dans le creux de ses mains pour réchauffer ses doigts :

- Pourquoi tu croyais que Nina était ma copine ?

- Bah je sais pas… C’est l’impression que ça donne. Et puis, vous habitez ensemble non ?

- On est coloc’, oui. Juste coloc’.

- OK...

Sans un mot de plus, ils pénètrent dans la bibliothèque et se dirigent vers l’accueil. C’est un étudiant aux cheveux gras qui assure la permanence ce soir.

- Salut, on est du bureau des plaintes de l’Université. On est là pour poser quelques questions aux gens. J’espère que ça dérange pas.

L’étudiant hoche la tête et retourne à sa lecture.

Les deux collègues décident de se partager les zones de travail et chacun part de son côté. Michaël longe les rayonnages de livres. Malgré l’heure bien avancée, il y a encore beaucoup de visages penchés sur des claviers ou enfouis dans des feuilles de notes. Presque toutes les lampes de table sont allumées et le silence est parcouru de froissements de pages, de raclements de gorges et de chuchotements.

Pendant presque une heure, Michaël s’excuse d’interrompre les bûcheurs, explique sa démarche et récolte les commentaires des utilisateurs de la bibliothèque. Plusieurs solutions se ressemblent : ouvrir une permanence psychologique sur le campus en présentiel ou par téléphone, imposer des jours de congé pendant le semestre pendant lesquels il n’y a pas cours, légiférer sur le nombre de devoirs, les délais imposés, organiser plus d’événements où les étudiants pourraient sociabiliser. Finalement, rien de bien compliqué ni très coûteux.

Michaël retrouve Zoé dans le hall d’entrée. À première vue, leurs résultats sont similaires et ils ont hâte de voir ce que Simon et Nina ont recueilli comme idées de leur côté.

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L’ambiance est légère dans le bureau des plaintes l’après-midi suivant. Les quatre employés se sont réunis pour mettre sur papier (ou plutôt sur écran) les solutions qu’ils vont soumettre le lendemain au doyen Freiss. Cela fait longtemps qu’ils n’ont plus travaillé ainsi en équipe. Et ils se sentent utiles. Ils ont l’impression que leur travail va réellement faire bouger les choses à l’Université et aider plus d’un étudiant. C’est Simon qui dirige les opérations :

- Donc pour résumer : en rouge, on a les solutions les plus plébiscitées et pertinentes, en vert, celles qui sont gratuites et rapides à mettre en place, en noir, les propositions moins réalistes. On y va comme ça ?

- Oui, confirme sa sœur. Ça fait une dizaine de suggestions, c’est du bon boulot !

- Ah j’en ai encore une ! intervient Michaël.

Ses trois collègues l’écoutent, intrigués, fatigués, étonnés.

- On va fêter ça au Croc’ ? lance-t-il en plaisantant.

Malgré les devoirs qu’il reste à rendre avant la fin de la semaine, Nina, Simon et Zoé acceptent de bon cœur.

Ils mettent en ordre leurs bureaux et récupèrent leurs sacs. Alors qu’ils sont sur le point de tirer les rideaux et d’éteindre la lumière, un attroupement dans la cour intérieure de l’Union attire l’attention de Nina :

- Qu’est-ce qui se passe là-bas ?

Plusieurs étudiants se sont regroupés près de la statue de John et Elsa Cameron et agitent les bras en l’air.

Zoé ouvre la porte-fenêtre et sort, suivie de ses trois collègues. Plus ils avancent sur la pelouse, plus des bribes de phrases arrivent à eux.

Automatiquement, ils suivent les têtes qui se lèvent vers le ciel et, plaçant une main en visière sur leur front, ils aperçoivent une silhouette, perchée sur les toits de l’Union. Elle se détache, noire et frêle dans la lumière blanchâtre de l’après-midi de décembre.

- Il va sauter, murmure Simon.

Autour d’eux, on appelle au secours. Une étudiante, la main sur la bouche est au téléphone avec les pompiers.

- Comment est-ce qu’il a pu monter là-haut ? s’étonne Zoé.

En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, Simon a téléchargé les plans du campus, qu’ils avaient utilisés pour une affaire quelques mois auparavant.

- Je vois par où il est passé. Il y a une trappe à l’entrée de la galerie des portraits.

La silhouette se rapproche dangereusement du bord. Elle surplombe toutes les tourelles, sauf celle de l’horloge centrale.

- Les secours n’arriveront pas à temps, constate Simon, avant de s’élancer vers la galerie des portraits, sans écouter les cris de sa sœur qui tente de le retenir.

Le jeune homme trouve facilement l’accès grâce aux plans qu’il a sous les yeux. La trappe a été refermée, mais en posant le pied contre le mur, il arrive à attraper le crochet et s’y suspendre de toutes ses forces. Un escalier se déploie devant lui. Il y grimpe comme à une échelle, traverse les combles au-dessus de la galerie des portraits et passe à travers une fenêtre laissée ouverte.

Sur les toits, le temps semble être suspendu. Les bruits du campus ne parviennent pas jusqu’ici. Heureusement, la neige a fondu ces derniers jours et les tuiles ocre sont sèches, bien que parsemées de crottes d’oiseaux. Simon repère la silhouette à une dizaine de mètres de lui. Les yeux rivés sur ses baskets, il contourne avec précaution une cheminée.

Ces quelques pas lui donnent l’impression d’avoir couru un marathon. Ces jambes sont flageolantes. Simon relève la tête et rencontre le regard d’un étudiant, du même âge que lui.

- Qu’est-ce que tu fous ici ? questionne l’inconnu.

- Je suis venu t’aider, grelotte Simon, un peu honteux de ne pas avoir plus de contenance.

Il se tient à environ deux pas de l’étudiant et à plus de trois étages du sol. Sa petite peur du vide se rappelle soudain à lui. Il évite de regarder en bas, même si les visages de sa sœur et de son meilleur ami le rassureraient bien.

- Si tu veux te rendre utile, redescends et appelle un responsable de la Faculté. J’ai des choses à dire.

- Tu es « helpme@dotonmail.com », c’est ça ?

L’étudiant affiche un air surpris et resserre ses mains autour de ses bras nus. Simon réalise alors qu’il ne porte qu’un T-shirt noir tout simple et un jeans.

- Je suis Simon. Je travaille au bureau des plaintes. C’est moi qui ai répondu à ton message.

- Et alors ? se vexe l’autre. Ça n’a rien changé…

- Bien sûr ! Ça fait plusieurs jours qu’on travaille sur des projets avec mes collègues. On a rendez-vous demain avec le doyen pour lui proposer des améliorations.

- Je te crois pas.

Devant la mine suspicieuse qui regarde le vide, Simon sort son ordinateur portable :

- Regarde ! C’est grâce à toi que plusieurs de ces idées vont être mises en place. Par exemple, une permanence psychologique 24h sur 24.

L’attention de l’étudiant est maintenant toute tournée vers Simon, qui répète le speech qu’ils ont prévu de faire à Freiss le lendemain. Puis il conclut :

- Si tu mets ta vie en danger aujourd’hui, tu ne seras pas là pour nous aider à nous assurer que tout ça fonctionne vraiment. On a besoin de toi.

Les sirènes des premiers secours résonnent au loin.

- Allez, viens avec moi.

Il n’a pas besoin de trop insister ; l’étudiant accepte de le suivre à l’intérieur.

- Comment tu t’appelles ? demande Simon.

- Benjamin.

- OK. Merci Benjamin.

- Non, merci à toi, Simon. Si j’avais su que les choses bougeaient, je ne serais pas allé aussi loin.

- T’avais pas l’intention de sauter, c’est ça ?

Benjamin hausse les épaules :

- C’était plus pour faire peur à la Faculté.

Les pompiers et les ambulanciers arrivent alors qu’ils redescendent par la trappe. Simon reste avec Benjamin jusqu’à ce que celui-ci soit pris en charge, puis retrouve ses amis devant la statue de John et Elsa Cameron.

- Tu vas bien ? s’assure Nina.

- Oui, oui, dit-il, encore légèrement tremblant. Et Benjamin aussi. Il ira mieux. Grâce à nous.

Sa sœur le prend dans ses bras et ne le lâche plus jusqu’à ce qu’ils se soient installés à une table près du radiateur dans le Croc’.

Chris déboule, tout inquiet suite au coup de fil de Nina, et redouble d’attentions autour de Simon.

Dehors, les gyrophares griffent la nuit qui est soudainement tombée. Simon tente d’oublier, pour l’instant, le visage de Benjamin et de profiter de la chance qu’il a d’être si bien entouré.

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FIN DE L’ÉPISODE 4

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