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Saison 3 - Épisode 5

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Ruptures et destockages (partie 1)

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Michaël Fassnacht empile les verres propres sous le comptoir. Son collègue Ben, qui a fait le service avec lui, est en train de nettoyer les dernières tables du Croc’. Michaël passe son torchon sur les tireuses à bière et éteint la sono au moment où le gérant du pub-lounge vient chercher la caisse :

- Salut Mic, ça a été ce soir ?

- Ouais, c’était plutôt tranquille.

Le gérant ouvre le tiroir et ramasse les quelques billets et pièces qui y trainent. Comme d’habitude, il imprime le relevé des paiements par carte et vérifie que tout est en ordre.

Ben a déjà enfilé sa veste et fume une clope sur le pas de la porte. Michaël pense le rejoindre quand son patron le retient :

- Il faut qu’on parle, toi et moi.

Au ton grave de sa voix, le jeune homme comprend que ce n’est pas pour le remercier de son bon travail…

Le gérant sort une liasse de feuilles de sa poche et les déplie devant Michaël. Celui-ci n’y voit qu’une suite illisible de lignes avec des chiffres au bout.

- J’ai remarqué un truc bizarre dans mes commandes de boissons ces derniers temps, annonce le gérant en pointant certaines lignes surlignées au marqueur jaune.

Pour Michaël, ces traits et ces nombres sont un charabia. Il attend que son patron continue son exposé :

- Le total ne correspond pas au stock que j’ai inventorié le week-end passé.

Aucune réaction de la part de l’employé, qui se gratte le crâne à la recherche d’une explication.

- Pourquoi est-ce que vous me montrez ça ? questionne-t-il enfin.

- Les dates : elles concordent avec tes jours de travail.

Michaël se penche sur le comptoir pour étudier le document. Certaines remontent à plusieurs mois. Impossible de se rappeler s’il était de service ce jour-là. Soudain, la frayeur le prend aux tripes :

- Vous m’accusez d’avoir volé dans le stock ?! s’écrie-t-il.

Son patron le défie du regard :

- Non, je dis juste que la coïncidence est… troublante.

Michaël hoche la tête :

- Il y a sûrement une explication valable. Qu’est-ce qu’il manque exactement ?

- Pas grand-chose, quelques litres d’alcool par-ci par-là. Pas assez pour qu’on s’en rende compte au premier abord, mais suffisamment pour se mettre une jolie somme en poche.

Le cerveau de Michaël cherche un indice, peut-être un détail qu’il aurait observé à ces moments-là.

- J’ai rendez-vous demain avec la représentante de notre fournisseur, explique le gérant. Tu la connais, je crois ?

- Maya…

- Écoute, j’aimerais qu’on règle ça à l’interne. Je veux pas que l’Université ou la police vienne fourrer leur nez dans mes affaires.

Michaël acquiesce, pensif.

- En attendant, je vais te mettre en congé quelques jours. Deux ou trois semaines max. Le temps de tirer ça au clair.

L’employé soupire, mais l’étudiant se dit qu’il pourra ainsi se consacrer aux partiels qu’il lui reste à passer. Il est épuisé. Avec les révisions, son boulot au Croc’ et les aller-retours entre chez lui et le studio de Maya, il ne voit pas les journées défiler. Il ne rêve que de s’enfermer dans sa chambre avec un stock de chips et de bières et jouer aux jeux vidéo pendant trois jours non-stop.

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*

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La pale lumière du frigo ouvert illumine le visage de Nina Dalambert. Elle boit deux grandes gorgées d’eau froide et replace la bouteille sur le rayonnage. Ses orteils nus se contractent sur le carrelage froid de la cuisine. La jeune femme est sur le point d’aller se coucher, lorsque Michaël rentre chez lui.

- Hé salut ! dit-elle surprise. Ça va ?

- Mmhh...

Depuis plusieurs jours, les deux colocataires se côtoient à peine. Michaël passe la plupart de son temps chez Maya ou sur le campus.

Nina croise les bras sur le large T-shirt qui lui sert de pyjama.

- Tu dors ici ?

- Nan, je viens juste me changer, répond Michaël depuis sa chambre.

Dans l’ouverture de la porte, Nina le voit farfouiller dans un tiroir à la recherche de sous-vêtements propres. Il troque son jogging noir contre un gris un peu usé au niveau des genoux.

Le moment est à nouveau mal choisi pour discuter du sujet qui tracasse la jeune femme.

Au retour des vacances de Noël, Nina avait été informée que les travaux dans sa chambre à Elsa Cameron étaient terminés et qu’elle pourrait réemménager dans le courant du mois de janvier. Alors qu’elle aurait dû se réjouir de cette bonne nouvelle, Nina avait ressenti une pointe de déception. Elle s’était habituée à vivre dans un espace plus grand, à ne pas devoir partager sa cuisine et sa salle de bains avec une quinzaine d’autres filles. La cohabitation avec Michaël s’était bien déroulée et elle se demande maintenant si elle ne voudrait pas que ça se prolonge un peu. Mais pour ça, elle doit en parler avec son coloc’, et ce dernier n’est jamais disponible.

- T’as un examen demain ? questionne-t-elle.

- Merde, ouais, râle Michaël en retournant chercher ses affaires de cours. D’ailleurs, je pourrai pas venir à la réunion avec le doyen mercredi.

Comme lors de chaque session inter-semestrielle, le bureau des plaintes n’opère qu’en permanence réduite. Toutefois, les rencontres hebdomadaires avec leur responsable sont maintenues.

- Tu penses qu’on se croisera demain après ton exam ? s’enquiert Nina, avec l’idée de créer une occasion de discuter.

- Je sais pas… soupire Michaël en enfilant un bonnet en laine sur sa tignasse blonde décoiffée. Je te redis, OK ?

Il offre un sourire triste à Nina avant de quitter l’appartement en vitesse.

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*

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La réunion avec le doyen Freiss est rapide cette semaine-ci. Les rares plaintes qui demandent l’attention du bureau sont traditionnelles : elles concernent soit les partiels, soit les profs.

Nina, Simon et Zoé se retrouvent dans le coin salon pour partager un café. Simon est décontracté ; il n’a pas d’examens à passer, et il ne lui reste qu’un papier à rédiger pour valider son semestre.

- Et toi, sister, comment ça se passe ?

- Bien, j’ai presque terminé mes révisions.

Installée dans un pouf, Zoé pianote distraitement sur son smartphone.

- Et ma chambre à Elsa Cameron est prête. Je peux y retourner dès que je le veux.

- Super ! Je suis là si t’as besoin d’aide pour déménager.

- C’est gentil… J’ai pas grand-chose. Toutes mes affaires avaient brûlé dans l’incendie.

Nina se tortille sur le sofa :

- Et je me disais que… peut-être je pourrais rester à l’appart’ jusqu’à la fin de l’année…

- Ouais bien sûr ! T’en as parlé à Mic ?

- Pas encore… Je le vois jamais ces temps.

- T’inquiète, moi non plus. Je crois qu’il bosse pas mal, entre les cours et le Croc’.

Zoé, qui n’a pas manqué un mot de la conversation entre le frère et la sœur, se râcle la gorge :

- Pas au Croc’, en tout cas.

Nina et Simon se dévisagent et demandent une explication :

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

Zoé relève la tête vers eux, comme si elle était étonnée d’avoir parlé à voix haute.

- Pourquoi tu as dit « pas au Croc’ » ? relance Nina.

- Euh… Je pensais que vous étiez au courant. Michaël a été viré.

- Viré ?! répète Simon. Quand ça ? Pour quelle raison ?

- J’en sais rien ! s’exclame Zoé, sur la défensive.

- Qui t’a dit ça ?

Zoé se lève et sort son paquet de cigarettes. Elle en coince une entre ses lèvres pour se donner du temps et de la contenance :

- Personne ! C’est Michaël qui a dû le mentionner. Une histoire de stock qui a disparu ou quelque chose comme ça.

- Mic a beaucoup de défauts, mais le vol, ça non ! s’étonne Simon.

- Donc Michaël est venu te parler à toi ? relance Nina, à l’attention de Zoé.

Cette dernière se dirige vers la porte-fenêtre qu’elle ouvre pour aller fumer à l’extérieur :

- Non, pas directement, répond-elle en haussant les épaules. Je l’ai entendu au téléphone.

Nina et Simon restent sans voix. Pourquoi leur ami leur a-t-il caché ça ?

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*

 

Finalement, Nina avait écrit un message à Michaël pour lui dire qu’elle voulait discuter avec lui. Il lui avait répondu quelques heures plus tard : « On se voit ce soir à l’appart’. J'achète des pizzzzzzzas. »

La jeune femme s’arrête à la bibliothèque universitaire pour rendre des ouvrages empruntés et arrive dans l’entrée de son immeuble. Elle est bien décidée à poser à son colocataire les deux questions qui lui brûlent les lèvres : peut-elle continuer à louer la chambre jusqu’à la fin de l’année académique et pourquoi s’est-il fait virer du Croc’ ?

Cependant, alors qu’elle sort son trousseau de clés pour ouvrir la porte, elle entend des voix de l’autre côté. Michaël et Maya sont juste dans l’entrée, en pleine discussion.

- Pas ce soir, insiste Michaël. Je suis crevé…

- On n’a qu’à simplement manger la pizza et on va se coucher, propose Maya.

- Y a Nina qui va arriver.

- Elle habite encore ici ? Je croyais que l’Université avait rouvert la résidence Elsa Cameron.

Silence. À la mention de son nom, Nina s’est figée derrière la porte et tend l’oreille.

- Elle va rester encore longtemps ? relance Maya.

- J’en sais rien.

- Je trouve qu’elle abuse un peu… Squatter chez toi comme ça…

- En attendant, elle paie le loyer, répond Michaël, agacé. Est-ce que ça te pose un problème ?

Silence. Nina recule d’un pas. Elle se sent coupable d’écouter ainsi aux portes. Elle hésite : entrer et couper court à la discussion ou s’éloigner et revenir d’ici cinq minutes ?

- J’te rappelle que c’est toi qui as refusé, quand je t’ai proposé d’habiter avec moi ! dit Michaël en haussant le ton.

- Je savais pas que ce serait ta copine qui prendrait la place…

- Écoute Maya… Je fais déjà pas mal d’efforts. On passe toutes nos soirées ensemble.

Silence. Dans son hésitation, Nina n’a pas bougé.

- Bon, je sens que je ne suis pas la bienvenue ce soir.

Au son des talons qui claquent sur le parquet, Nina a juste le temps de disparaitre à l’angle du couloir. La porte de l’appartement s’ouvre à la volée et Maya descend en trombe les escaliers.

*

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Michaël s’est replié dans la cuisine après le départ de sa copine. Il ne lui a pas couru après pour la retenir et la convaincre de rester. Le jeune homme mâchouille une part de pizza en repensant à leur altercation. Il trouve que Maya exagère. Il l’a toujours fait passer en premier. Lorsque Nina l’avait invité à passer Noël avec Simon chez leurs parents, il avait choisi de rester auprès de Maya pour les fêtes. Cette dernière ne réalise pas que Nina et Simon sont ses meilleurs amis. Les seuls à vrai dire. Il faudrait que Maya gère sa jalousie, car il ne va pas les éjecter de sa vie pour elle.

En pensant au loup, Michaël aperçoit Nina entrer discrètement. La jeune femme dépose son sac dans le couloir et le salue. Michaël lui tend le carton à pizza :

- Napolitaine, ta préférée.

Nina le remercie, elle croque dans la pâte, puis :

- Mic, Zoé nous a dit que tu avais été viré du Croc’, c’est vrai ?

- Non.

Michaël déglutit :

- J’ai été suspendu quelques jours. Et comment Zoé sait ça, d’abord ?

- Elle t’aurait entendu en parler au téléphone.

- Bizarre, je l’ai dit à personne.

- Même pas à Maya ?

Le jeune homme secoue la tête.

- De quoi on t’accuse exactement ?

- L’inventaire du stock ne correspond pas. Mon patron pense que quelqu’un a volé de la marchandise. Et comme les dates concordent avec les jours où je travaillais…

- T’as une idée de qui a pu faire ça ?

Michaël hausse les épaules :

- Tous les employés savent où se trouve la clé du local de stockage. Ça peut être n’importe lequel d’entre nous.

Nina lui propose alors de récupérer la liste des inventaires et de la comparer au planning de travail.

- Ensuite, on interroge tous tes collègues qui étaient présents aux dates des vols, conclut-elle. Simon sera d’accord de nous aider.

Même si la démarche lui semble vaine, Michaël la remercie pour le soutien.

- Au fait, c’était ça dont tu voulais me parler ?

- Non. Je… Je voulais t’annoncer que… je retourne dans ma chambre à Elsa Cameron. Dès demain.

- Oh. OK, répond laconiquement Michaël. C’est une bonne nouvelle. Je sors le vin pour fêter ça ?

- Juste pour trinquer, après je dois terminer mes révisions.

Le jeune homme débouche une bouteille et sert deux verres. Il trinque, mais le cœur n’y est pas. C’est la deuxième fois qu’il perd un coloc’ qui est aussi un ami.

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FIN DE LA PARTIE 1

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Ruptures et déstockages (partie 2)

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Le lendemain, Michaël réussit à obtenir de son patron une copie de l’inventaire avec les chiffres manquants. Simon et lui croisent les dates où les méfaits ont eu lieu et l’horaire des employés du Croc’. Une dizaine de personnes sont concernées, mais le constat est déjà frappant : Michaël est le seul à avoir travaillé chacun de ces jours-là. Soit le hasard s’abat sur lui, soit il existe une raison plausible, qu’ils se doivent de découvrir.

Nina, Simon et Michaël décident de convoquer les employés suspects au bureau des plaintes pour les questionner. Tout l’après-midi, ils posent les mêmes questions : « As-tu bien travaillé à telle date ? Avec qui étais-tu ? Es-tu allé dans le local de stockage ? As-tu vu quelque chose qui sortait de l’ordinaire ? »

Malheureusement, les réponses qu’ils obtiennent sont également toutes les mêmes : « Ouais, je crois. Je me souviens plus. Sûrement, oui. Non, rien de spécial. »

Seul Ben refuse de se présenter au bureau, alors Simon et Nina passent le voir au Croc’. L’employé est sur la défensive :

- Vous essayez de me faire passer pour coupable ?

- Pas du tout, assure Nina. On veut juste comprendre comment c’est possible que tout cet alcool se soit volatilisé chaque mois et que personne n’ait rien vu.

- J’ai déjà tout dit à mon patron. Et il me croit. La preuve, je travaille toujours ici, moi.

Il insiste légèrement sur ce dernier mot.

Le frère et la sœur abandonnent et retournent au bureau où Michaël les attend. Nina redonne forme au pouf avec violence, puis se jette dessus, exaspérée :

- C’est hallucinant ! En tout, une cinquantaine de bouteilles de whisky, vodka et autres ont disparu !

Simon s’installe en face d’elle et réfléchit à voix haute :

- Mettons-nous à la place du coupable… Comment tu t’y prends ? Tu attends qu’il y ait beaucoup de clients, que tout le monde ait le dos tourné. Tu prends la clé, vas dans le local de stockage. Et après ?

- Il te faut un sac à dos ou quelque chose. Tu peux pas planquer cinq ou six bouteilles dans ton slip.

- Et s’ils étaient passés par le passage secret qu’on a découvert l’an dernier ?

- Non, il a été condamné cet été, intervient Michaël.

- Alors le type ressort avec un sac rempli de bouteilles et personne ne le remarque ?

À cet instant, Michaël se sent obligé d’exprimer ce qu’il refuse de croire depuis plusieurs jours :

- Il existe une autre hypothèse. Peut-être que ces bouteilles ne sont jamais arrivées jusqu’au Croc’…

Nina et Simon l’écoutent avec attention.

- En fait, je suis pas le seul à avoir été sur place chacun de ces jours. Depuis le début de l’année, Maya s’est arrangée pour faire ses livraisons quand j’étais de service, afin qu’on puisse se voir.

Enfin, c’est ce que Michaël croyait jusqu’ici. Maintenant, il se demande s’il n’y a pas une autre raison, derrière les déclarations d’amour de sa copine.

- Tu veux dire qu’elle n’aurait jamais livré les bonnes quantités ? demande Simon. Et elle aurait gardé cette marchandise pour elle ?

- Je dis que c’est possible. Elle revend l’alcool derrière et touche un peu d’argent en plus…

- Personne ne contrôle les quantités qu’elle dépose ?

- Normalement oui. La plupart du temps, c’est l’employé qui travaille qui signe les bons de livraison.

- C’est-à-dire toi…

- Je lui fais confiance…

Dépité, Michaël enfouit sa tête entre ses mains.

- Tu lui en as parlé ? questionne Nina.

- Vaguement… Je sais qu’elle a été interrogée par mon boss et qu’elle a dit qu’elle n’était au courant de rien.

- Si ce que tu penses est vrai, renchérit Simon, il faut qu’on trouve une preuve. Où peut-elle stocker la marchandise volée ?

- Pas dans son studio en tout cas…

- Il doit sûrement y avoir des traces de ses reventes : des échanges de messages, des rentrées d’argent, je sais pas.

- Quand j’étais chez elle l’autre soir, j’ai fouillé son bureau et son smartphone. Mais j’ai rien trouvé.

Michaël sent la bile remonter depuis son estomac. Il ne sait pas ce qui le dégoûte le plus : le fait de douter de sa propre petite amie ou l’idée de s’être fait avoir par elle. Dans les deux cas, il aurait envie de disparaitre sous terre.

Zoé, qui est restée en retrait et assure la permanence du bureau des plaintes cet après-midi, se redresse sur son siège. Elle jette un œil à ses collègues, affalés de désespoir et à court d’idées. La jeune femme hésite un instant puis tend la main vers son téléphone et quitte son poste de travail pour le coin salon :

- Michaël, je crois que je ferais bien de te montrer ça.

Elle déverrouille l’écran et fait défiler sa galerie de photos jusqu’à une vidéo qu’elle lance en appuyant sur « play ». Les yeux de Michaël s’écarquillent et il s’empare du téléphone pour zoomer :

- Putain, j’arrive pas à le croire… murmure-t-il.

Soudain très intéressés, Nina et Simon viennent se placer derrière lui. La caméra est tremblante et l’angle n’est pas parfait. La scène se déroule à l’arrière d’un magasin, dans une ruelle peu fréquentée. On y voit Maya en train d’échanger un carton de bouteilles contre quelques billets.

- D’où tu sors ça ? s’étonne Nina à l’attention de Zoé.

- Ça date de quand ? coupe Michaël.

Zoé affiche les informations : 14 décembre, 17h13.

- J’ai filmé cette scène par hasard un soir… explique-t-elle. J’ai reconnu ta copine et compris qu’il se passait quelque chose de louche.

- Pourquoi tu m’en as pas parlé ?

- Je sais pas… J’ai estimé que ça ne me regardait pas trop au final. Et puis, j’ai oublié…

- Parfait, commente Simon. C’est la preuve qu’il nous fallait. On n’a qu’à envoyer la vidéo à ton patron, Mic.

- Non. Transfère-la-moi. Je vais m’en occuper.

Michaël ne veut pas impliquer davantage ses amis dans cette histoire. C’est entre Maya et lui maintenant.

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*

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Michaël attend Maya de pied ferme dans l’appartement. Il lui a demandé de passer le voir, sans expliquer pourquoi. Il veut jouer sur l’effet de surprise. Le jeune homme sait d’avance qu’elle risque de nier ou de trouver de fausses excuses, alors il veut mettre toutes les chances de son côté.

Quand Maya arrive, elle comprend tout de suite que quelque chose cloche. Michaël repousse son baiser :

- C’était quoi ton but ? Profiter de moi ? Me faire porter le chapeau ?

- De quoi tu parles ? Qu’est-ce qui t’arrive ?

- Je sais pour l’alcool que t’as volé au Croc’.

Maya tortille ses gants en laine entre ses doigts et bafouille :

- Ça a pas l’air d’aller, Mic. Viens, on s’assoit.

Elle l’attire dans le salon, mais le jeune homme reste debout, campé sur ses positions :

- Ça sert à rien de mentir, Maya. J’ai une preuve. Je veux juste savoir pourquoi.

- Une preuve de quoi exactement ? siffle-t-elle.

- De ton petit trafic d’alcool. Ça dure depuis quand ? Tu faisais déjà ça avant qu’on se connaisse ou t’as vu en moi une opportunité d’arnaquer le pub ?

Soudain, le visage de Maya change d’expression, passant de l’étonnement au sérieux :

- Ça n’a rien de personnel, Michaël. J’avais besoin de cash pour arrondir mes fins de mois. T’imagines pas comme je suis mal payée par ma boîte.

- J’ai failli perdre mon job à cause de toi, rage le jeune homme.

- Et là, c’est moi qui perds le mien.

Maya baisse les yeux et les muscles tendus de Michaël se relâchent un peu :

- Mon boss veut régler ça en interne. Tu lui avoues ce que t’as fait. Et peut-être qu’il ne préviendra pas la police, si t’es convaincante.

- Tu crois ?

- C’est ça ou je vais moi-même porter la preuve à mon pote, l’inspecteur de Kalbermatten.

Il ne suffit que d’un instant pour que Maya accepte l’offre plutôt généreuse de Michaël. Elle se lève pour le prendre dans ses bras, mais celui-ci recule :

- Rembourse le Croc’ jusqu’au dernier centime et disparais de ma vie.

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*

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Quelques jours plus tard, les examens sont terminés et Michaël a retrouvé son job au Croc’. Il ne dirait pas que c’est avec plaisir qu’il recommence à astiquer les tables poisseuses et à servir les étudiants souvent trop avinés, mais ça lui fait du bien de retrouver ses repères. Après avoir vécu presque 24h sur 24 avec sa copine, Michaël se sent soudain seul. Bien qu’il ait enfin du temps pour lui, le jeune homme ne sait plus comment l’occuper.

Les cours ne reprennent que dans deux semaines et l’appartement lui parait très vide sans la présence de Nina. Le jeune homme passe ses journées à dormir ou à trainer au Croc’. C’est d’ailleurs là-bas que Simon le retrouve un soir. Les deux amis s’installent à une table avec une bière.

- Comme au bon vieux temps ! s’exclame Simon.

Ils trinquent, mais Michaël a l’esprit ailleurs. Il joue avec son vieux briquet :

- Ça va Mic ? T’as l’air ailleurs…

- Mmmhh… Je me disais que ça faisait presque une année. Que j’ai arrêté de fumer et tout…

- Waouh, déjà ! Et comment tu te sens ?

- Y a des jours moins bien que d’autres. Mais en général ça va.

- Je pense qu’être avec Maya t’a aidé à tenir. L’amour, ça guérit.

Pensif, Michaël laisse échapper un petit ricanement :

- L’amour ? Pas sûr de connaitre vraiment ce que c’est… Comment t’as su que t’aimais Chris, toi ?

- Ouh là ! C’est profond comme question, se moque Simon, dont les joues rougissent presque instantanément.

Puis, comme il voit que son ami est sérieux, il essaie d’expliquer :

- Quand on n’est pas ensemble, je pense à lui constamment. Et quand je le vois, c’est comme si une vague de bonheur arrivait sur moi de plein fouet. J’imagine pas la vie sans lui. C’est même pas que je serais triste, mais j’y verrais plus de sens.

Michaël reste silencieux pendant quelques secondes. Une balade aux sonorités rock envahit le pub-lounge, mais les deux amis n’y prêtent aucune attention.

- Alors, t’as déjà ressenti ça ? relance Simon.

- Ouais je crois.

- Pour Maya ?

- Non…

Après quelques secondes de réflexion, Michaël se lève brusquement :

- Faut que j’y aille, dit-il en enfilant son manteau.

- Qu’est-ce qui se passe ?

- Tu viens de me faire réaliser un truc.

Il s’éloigne puis fait demi-tour :

- Je veux que tu saches : quoi qu’il se passe maintenant, t’es le meilleur ami que j’aie jamais eu, OK ?

- Euh… OK.

- Tu te souviendras de ça, d’accord ? Je t’aime, mon pote !

Il embrasse le dessus du crâne de Simon et file vers la sortie.

Simon reste pantois, pas certain que son ami ait compris la définition de l’amour qu’il vient de lui faire.

Dehors, Michaël court à travers le campus. En direction de la résidence Elsa Cameron.

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FIN DE L’ÉPISODE 5

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